IKEA artisanal mais littéraire
Livre des traces, transferts et repérages, Planches est aussi celui des dérivations intempestives d’une vie ou ce qui lui ressemble. Sans dire à qui appartient cette existence. Sans dire non plus qu’elle est sa route. Restent bien sûr des lieux et des jours. Un simple passage permet de comprendre l’enjeu de ce livre fascinant :
« La montagne est trop loin derrière la nuque. Proposer le lac.
Il a déjà vécu dans la forme d’un bateau, chaise et table,
le promontoire, la presqu’île avec la main poussée, trois doigts,
les tempes, le front, et la phrase se répand en brouillard, en bleu.
Je suis un autre paragraphe ou bien cet homme, un train, ou rien. »
Ce « je » est donc possiblement un autre. Où si c’est bien lui-même, le lecteur peut douter de ses actes, rencontres, etc.. De fait, il n’existe pas vraiment de « héros » mais un pur scripteur. Scieur de long à sa manière mais surtout débiteur de fragments (sept fois dix) afin de tout monter en biens mobiliers : armoires, tables, chariots, planchers, coffrages. Et, bien sûr, radeau qui méduse. En feignant de s’en tenir aux faits pour mieux noyer leurs poissons.
Reste un amoncellement de planches qui deviennent tablettes écrites mais où les mots semblent se perdent et dont « la surface blanche du comptoir se déplacera quand il sera parti ». Tout ce qui est dit est aussi plausible que discutable. Si bien que ces planches se fendent sans que des objets contondants les rendent marteaux.
Ce qui est censé arriver dérive – l’inverse est vrai aussi. Et la précision du discours n’est là que pour jeter le lecteur dans l’abyme : « En parler ne ressemble pas à. Je comprends » écrit l’auteur. Tout est « bien » dit : au lecteur d’en faire son beurre.
jean-paul gavard-perret
Rémi Froger, Planches, POL Editeur, Paris, 2016, 96 p. — 14, 00 €.