Laurine Rousselet : la nuit remue
Le superbe livre de Laurine Rousselet porte la trace de la douleur de la rupture avec gravité, force mais aussi beauté. Il n’existe sans doute pas de réparation par l’écriture : elle apaise pourtant, sinon l’auteur, du moins lectrices ou lecteurs emportés dans ce fleuve Amour du désamour. Chacun peut s’y reconnaître. Du moins celles et ceux qui sont passés par là. Et d’une certaine manière, on le leur souhaite : une telle expérience de la douleur « grumelante » témoigne de l’existence.
Et tout compte fait, reste (presque) un sourire enroulé aux deux alphabets des désunis. Il surgit par la force de la poésie et ses minutes ouvertes en tête des corps : elle frappe à l’encre noire pour camper à l’angle des aveux pour une mise hors ligature. Au « je ne t’aime plus » (ce rivage d’une mort), le poème répond en perforant l’espace par les éclosions du « crire ».
De l’œil au regard s’instruit la médiation de l’œuvre : sans pouvoir encore le cautériser, elle fissure le vide qui a remplacé le corps, ses certitudes trop facilement acquises comme éternité provisoire mais éternité tout de même. Et si la nuit habille tout et devient factrice d’insomnie, écrire demeure le « mange-feu » des flammes qui brûlent en vain dans une consummation fétichiste et qui n’est plus seulement réduite à un objet purement narratif mais à une spéculation sensori-motrice (euphémisme).
Tout ramène à la nuit mais la poétesse — déjà auteure de grands textes, Tambour (Dumerchez), Journal de l’Attente (I. Sauvage) — l’organise pour tenir dans le noir et dans la vie afin que celle-ci ne se voit plus seulement du point de préexistence d’un regard de l’amoureux mais qu’elle se voit de partout.
Suivant sans le savoir une des « leçons » de Lacan (Séminaire IX), Laurine Rousselet invente un exercice poétique qui est la sélection d’un certain mode de regard. Dans la dialectique de l’œil et du regard, lorsque, faute de point de coïncidence, surgit un leurre, il convient, comme la créatrice le fait, d’en dessiner encore les contours.
Prise encore dans la maladie de l’amour, elle glisse donc incidemment dans celle de l’écriture. Dès lors, qu’elle se rassure : si de la seconde on ne guérit pas, la première permet, au bout de la nuit, de retrouver le jour.
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jean-paul gavard-perret
Laurine Rousselet, Nuit témoin, Editions Isabelle Sauvage, Plouméour-Ménez, 2016, 128 p.