Marie-Paule Farina, Sade et ses femmes, correspondance et journal

Sade et ses femmes

Marie-Paule Farina per­met de mettre bien des idées reçues à leur juste place en ce qui concerne Sade et les femmes. Dans une société fon­dée sur un pou­voir sans frein et sur le pri­vi­lège d’hommes assu­rés de leur bon droit, l’auteure prouve qu’il se révèle un bon mari et un ami atten­tionné des femmes. Le livre pré­cise aussi que le “liber­ti­nage” sadien n’est pas ce qu’on croit. En ses excès, il intro­duit un élé­ment de désordre sans lequel le régime et sa hié­rar­chie ne sur­vi­vraient pas.

De fait, Sade repré­sen­tait et repré­sente un dan­ger (réel ou ima­gi­naire) qui fut ampli­fié par la tra­di­tion morale répu­bli­caine. On le lui fait payer bien plus qu’à des Cré­billon ou autre Ner­ciat qui contri­buèrent, mais de manière “soft”, à la libé­ra­tion des tabous et des pré­ju­gés. Par rap­port à Sade, ces pré­cur­seurs ne sont que gra­cieux et ano­dins. Ils ignorent et veulent igno­rer l’indifférence mons­trueuse qu’autorise la libé­ra­tion de tous les désirs et sur­tout l’écrasement par tous les pouvoirs.

Si ces liber­tins flat­taient les déviances sexuelles — inceste com­pris — Sade prô­nait à l’inverse un déchaî­ne­ment. Mais on a trans­posé sa lit­té­ra­ture à sa vie, et ses romans à une morale qui n’était pas la sienne. Ne rete­nant que des pos­tures déga­gées du contexte de l’œuvre, il était facile de réduire le Divin Mar­quis à un ogre en oubliant que ses « crimes » lit­té­raires ne se firent pas contre les femmes mais contre les ordres poli­tiques et reli­gieux. Mais, tou­cher au sexe étant le crime suprême, il ne fut pas jusqu’à la doxa révo­lu­tion­naire — tou­jours très aus­tère — à ostra­ci­ser Sade pour le confi­ner au rang de plus per­vers des écri­vains
Marie-Paule Farina lui donne de l’air. Elle rap­pelle que le culte du pou­voir et non de la liberté abou­tit à l’apologie néces­saire du crime et le mépris des femmes. Il fait sor­tir des fameux mor­ceaux choi­sis infer­naux de Sade. Les scènes les plus déran­geantes de l’auteur sont, par exemple, éclai­rées par ce que dit Noir­ceuil, dans l’His­toire de Juliette. Il tire la leçon qu’aucun pou­voir ou société ne peut admettre : “Ce n’est que par des for­faits que la nature se main­tient et recon­quiert les droits que lui enlève la vertu. Nous lui obéis­sons donc en nous livrant au mal ; notre résis­tance est le seul crime qu’elle ne doive jamais nous par­don­ner “.

Sade reste à ce titre, avec Artaud, un des auteurs qui demeurent “infran­chis­sables” (Guyo­tat). D’où la fameuse énigme qui le défi­nit bien :
“Je suis le plus grand bien, cause de tous les maux ;
Et cha­cun m’aime !
Les hommes et les ani­maux
Me recherchent de même.
Qui ne m’a pas, veut m’acquérir;
Il n’est rien qu’il n’invente
Pour me tenir,
Il n’est rien qu’il ne tente,
Et pour­tant, mal­gré mes attraits
Et mes bien­faits,
Mal­gré votre sol­li­ci­tude,
Tous vos efforts, et votre étude,
Mor­tels, vous ne m’aurez jamais
Telle que je vous plais”.

L’auteur de Jus­tine a fait débor­der bien des digues et il demeure inac­ces­sible. Mai 68 en offrit une cari­ca­ture avec le slo­gan : ” Sade avec nous, jouis­sons sans entrave”. Les figures de la libido qui s’inscrivent dans son œuvre ne peuvent se limi­ter à de telles sim­pli­fi­ca­tions.
Marie-Paule Farina fait le Mar­quis plus res­pec­tueux des femmes que bien des adeptes de « révo­lu­tions » : on voit d’ailleurs ce qu’ils sont deve­nus. La pirouette finale est jouis­sive : “femmes , lisez Sade de toute urgence , un homme tendre qui fait , le sou­rire aux lèvres , l’apologie du vice , ça libère dans un éclat de rire des hommes noirs qui, le cou­teau à la main , font l’apologie de la vertu . Quelle douce et néces­saire thé­ra­pie de la naï­veté féminine ! “

jean-paul gavard-perret

Marie-Paule Farina, Sade et ses femmes, cor­res­pon­dance et jour­nal, Edi­tions Fran­çois Bou­rin, Paris, 2016, 298 p. — 24,00 €.

2 Comments

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2 Responses to Marie-Paule Farina, Sade et ses femmes, correspondance et journal

  1. villeneuve

    Bien connaître la cor­res­pon­dance de Sade offre au talent de Marie-Paule Farina la grâce de trans­mettre une vérité bien per­çue par JPGP !

  2. marie-paule farina

    Je ne sais si je donne un peu d’air à Sade mais si c’était le cas j’en serais très heu­reuse car s’il y a bien, pen­dant ces décen­nies qu’il a pas­sées à l’ombre, un désir exprimé par Sade c’est bien celui de prendre l’air.
    merci à Jean-Paul Gavard-Perret

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