Lorsque Prigent réécrit (entre autres) Martine à la plage
Suite ou « débaroulage » des Enfances Chino, ce livre exprime la « fuite » de l’adolescence à la sénescence, jusque « pas loin de la ligne d’arrivée » où le cri désespéré « Ah, nos amours ! » est tout ce qui en reste. Roman en vers comme le premier du genre en langue française et autobiographique et à la manière où William Cliff et Eugène Savitzkaya l’ont torturée poétiquement, la fiction est là « pour inculper les bonnes manières » (Coluche).
Chino est aussi une nouvelle version de Martine (à la plage ou ailleurs) et de Jacques le Fataliste. Le tout en 285 poèmes de 3 quatrains et aux vers (rimés ou assonancés) plus ou moins inégaux. Avec surtout des enjambements imprévus en plein mot mais sensés — même si la compréhension n’est pas toujours immédiate. Du type « impéti/Go » et parfois impossible à oraliser : « V/eut »…
Le roman de déformation se double aussi d’un roman politique contre les « char/Mant songe » de Mao et de ses militants hexagonaux. Il est aussi et surtout un roman érotique avec « cu/lottes », « con/cilliant » et une pléiade de mots précis (euphémisme !).
Le discours classique en prend pour son grade comme chez les Grands Rhéteurs du Xvème siècle et chez Rabelais : le lecteur s’en réjouit. Onomatopées, acrostiches et autres figures de style constellent le texte. Comme il est grevé de références littéraires (jusqu’au Caradoc du Graal) dans le même esprit et goût de la nomination d’un Novarina.
Se retrouvent du Virgile, Baudelaire, Hölderlin, Proust, Jarry, Beckett, Joyce (entre autres) voire Siouxsie and the Banchees, bref une confiture d’alchimie verbale où l’auteur – et non sans raison – se cite lui-même. Il donne à sa manière une superbe suite à L’Innommable de Beckett où le « dégoulinement de soi » se double de l’Assomption du Verbe.
jean-paul gavard-perret
christian prigent, Les Amours Chino, P.O.L Editions, Paris, 2016, 352 p. — 15,00 E.