Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Définitivement le café. Vient ensuite l’envie de vivre/écrire.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je n’en avais qu’un, celui d’être libre et il a grandi avec moi.
A quoi avez-vous renoncé ?
Pour l’instant, à rien, disons rien d’essentiel mais je tranche beaucoup, j’élague. Je ne m’encombre pas. Ou bien les yeux sont fermés. Et ça me va comme ça.
D’où venez-vous ?
Le rock m’a bien plus bercé que ma mère.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Je pourrais répondre beaucoup d’amour et beaucoup de haine parce que c’est ce qui m’anime au quotidien (l’excès) mais, alors que j’écris principalement sur les traces qui nous constituent, je n’y crois pas vraiment. Je n’ai pas acquis grand chose. Tout s’efface en moi. Je crois essentiellement au présent. C’est plus efficace.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Ce petit plaisir, c’est justement sentir la présence du quotidien, l’air que je respire, sa température, son odeur, l’effet que cela produit sur mon humeur, me sentir exister dedans simplement comme un être de chair.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes et écrivains ?
Je ne me compare jamais aux autres sinon je ne vois que mes faiblesses.
Comment définiriez-vous votre travail pluri disciplinaire ?
Pour moi, l’essentiel est dans l’écriture, le reste c’est de la rigolade. Chercher des formes de visibilité pour mes textes, les proposer avec d’autres artistes, en performance ou en spectacle, cela m’évite d’être seule. Je partage pour être au milieu des autres. Cela m’est nécessaire, indispensable pour m’amuser. Ecrire ne me fait pas rire.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Toutes vos questions sont basées sur des souvenirs, des liens qui pourraient être révélateurs de ce que je suis aujourd’hui alors je me sens prisonnière de ma parole. Mais tant pis, je vais dire : le viol en général est une image mentale qui m’a interpellée très jeune (dans le film «Le grand embouteillage» de Luigi Comencini), quand je me suis rendu compte de ce que c’était. Et partout dans le monde ça se passe, comme un outil de guerre et de jouissance morbide. C’est dingue. J’ai vu « Irréversible » quand j’étais enceinte et Gaspar Noé était là, il est venu me prévenir de la scène du viol avant la projection, c’était gentil de sa part mais j’ai quand même accouché le lendemain.
Et votre première lecture ?
« J’irai cracher sur vos tombes » de Boris Vian m’a fait découvrir que l’écriture avait tous les droits, que la censure n’était pas au bon endroit dans mon milieu familial. Le récit cru, la violence de la chair, le sexe en général (je parlais de viol tout à l’heure ) m’est apparu d’abord par le biais de la brutalité. Mais comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas constituée des images du passé, cela n’a pas provoqué en moi une répugnance pour les hommes bien au contraire. Je pense justement que tout notre combat est de repousser les mécanismes qui pourraient nous définir, nous mettre dans des rails, afin d’être toujours neuf, spontanés. Je n’ai pas encore envie de me connaître par cœur.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’ai longtemps écouté du rock comme je le disais plus haut. Pour l’énergie, l’attitude, le danger. Je vais toujours en écouter sur scène mais je n’écoute plus ça chez moi. Probablement du fait de mon attachement aux mots, je m’intéresse maintenant à la chanson française avec des coups de cœur comme Bertrand Belin (ou ses enfants ARLT) et puis j’ai une admiration qui ne faiblit pas pour l’univers de Philippe Katherine. De toute façon, je ne suis attirée que par les artistes qui prennent des risques.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne lis les livres qu’une seule fois en général. Sauf en poésie où je peux y retourner pour m’imbiber. Je viens de relire “L’éternité” de Christophe Manon.
Quel film vous fait pleurer ?
Ce sont les scènes d’humiliation ou d’injustice qui me sortent les larmes. Les drames sociaux me touchent beaucoup.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une fille qui se brosse les dents, qui se démaquille et qui va au lit.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A moi-même. Je m’enverrai un petit quelque chose un jour pour voir ce que ça fait. Je ne sais pas encore ce que je pourrais me dire mais je vais y réfléchir.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Un lieu dont je ne vous parlerai pas et qui est bien caché.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Je me sens proche de toutes les formes d’écriture épurées, inventées, organiques et poétiques. Pour commencer, Duras bien sûr, mais pour rester au présent je pourrais citer Valerie Mrejen, Anne Parian, Edith Azam, Charles Pennequin, Laura Vasquez, Rodriguo Garcia, Louise Debrusses par exemple, il y en a d’autres. Je me reconnais dans la force de la simplicité, ce qui n’a l’air de rien.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Des mots d’amour dits droit dans les yeux.
Que défendez-vous ?
Le droit à la différence, la tolérance, je crois.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je pense : moins +moins = plus
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Je pense : plus personne n’écoute personne.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Celle que tout le monde me pose : y a-t-il une écriture féminine ? Et je vous remercie de ne pas me l’avoir posée…
Entretien réalisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 8 juin 2016.