Entre récit historique et super-héros…
Mathieu Gabella met en place un personnage proche d’un super-héros bien connu, capable de faire régner la justice dans Paris, une justice implacable où les criminels ne peuvent échapper au châtiment. Mais ce propos simpliste s’efface vite lorsque le scénariste explicite le parcours vécu par le bourreau, les tenants et les aboutissants de sa charge. Les choses ne sont pas si simples et elles se compliquent singulièrement lorsqu’il est confronté à deux événements capitaux : l’entrée en lice d’un personnage facétieux sorte de “Joker” qui possède, semble-t-il, plus de capacités que lui et la révélation que son don peut être entaché d’erreur, que sa justice n’est pas aussi divine qu’il le pensait.
Le scénariste anime, ainsi, des super-héros à la française, retrouvant les fondements de mythes, réemployant les codes du genre avec costumes, masques, identités secrètes et décors verticaux. Le Paris moyenâgeux se prête bien à ce dernier code avec ses rues étroites, cette ville enserrée dans ses remparts. Il fait d’ailleurs augmenter la hauteur des habitations et monuments, retrouvant les gratte-ciels où s’ébattent les supermen anglo-saxons.
Gabella est entré dans la cour des grands scénaristes avec Idoles (Delcourt) et surtout avec la série La Licorne (Delcourt) où il mettait en scène un fantastique médical de plus bel effet. Son inspiration s’appuie sur l’imaginaire au sens large, l’histoire et les sciences. C’est le fantastique lié aux super-héros qui sous-tend la présente série. Celle-ci se présentera en trois tomes, les deux prochains paraissant le premier et second semestre 2017.
À Paris, dans un Moyen Âge finissant, un homme se promène, anonyme, parmi la foule, les bancs des marchands, des camelots. Un commerçant propose dans une boîte, un bijou tout nouvellement acquis. Un mari va l’acheter pour son épouse quand un homme s’interpose. Il veut ce bijou qui a appartenu à une femme assassinée dernièrement. Après l’altercation, dissipée par un soldat, la boîte a disparue de l’étal.
Des enfants sont intrigués par une maisonnette fermée. L’un, plus hardi que ses compagnons, s’approche et voit, à l’intérieur, un homme qui soulève une cloche à l’aide d’un palan. Sidéré, il se fait surprendre par cet homme, celui-là même qui a pris la boîte. Il est chargé par le conseil de rapporter les objets dont a besoin le justicier. Ce dernier survient lui rappelant, sans ménagements, ses devoirs.C’est lorsque le bourreau rattrape l’homme que son don lui désigne comme coupable, que survient un étrange individu, masqué lui aussi, qui le tourne en ridicule, mettant en cause sa légitimité. Pour le peuple qui a assisté à la scène, il n’est plus le représentant de la Justice Divine, mais un tueur au service des nobles et des échevins. Qui est ce bouffon qui se dresse face à lui pour détruire ses certitudes ? Peut-il continuer son office dans de telles conditions ?
Mathieu Gabella livre une histoire dense où les nombreux retours dans le passé explicitent les raisons du comportement, le parcours initiatique pour faire éclore le Don, les contraintes imposées au bourreau pour ne pas être identifié, rester un être mythique. Le graphisme s’appuie sur un story-board de Virginie Augustin et des décors de Jérôme Benoit. Julien Carette, pour sa part, assure la mise en scène, le dessin des personnages à partir du design de Didier Poli et l’encrage des planches pour donner une homogénéité. Ce travail d’équipe, de plus en plus fréquent sur les albums, donne un résultat de bonne facture avec des planches particulièrement réussies.
Dans ce premier tome, le scénariste multiplie les interrogations au fur et à mesure qu’il livre quelques explications avec son intrigue retorse servie par un graphisme élaboré, d’une belle qualité.
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serge perraud
Mathieu Gabella (scénario), Virginie Augustin (story-board), Julien Carette (dessin), Jérôme Benoit (décors), Jean-Baptiste Hostache (couleur), Jean Bastide (couverture), Nautilus studio (Coordination artistique), Le Bourreau, t. 1 : “Justice divine ?”, Delcourt, coll. “Terres de légendes”, mai 2016, 56 p. – 14,95 €.