Le premier roman de Perec ne se consomme pas forcément d’une traite. C’est du tofu. Et c’est bateau. Proche du naufrage. On comprend les réticences qu’il suscita chez les lecteurs des éditions Nadeau et du Seuil. L’intrigue laborieuse a pour lieu Belgrade où le narrateur part, sinon en errance, du moins en vadrouille. Il fait tout pour séduire une certaine Mila, amie d’un certain Branko, plus âgé qu’elle et paré d’une emprise intellectuelle qui rend le narrateur jaloux. Mila conquise, il fonce de Belgrade à Sarajevo où vivent Branko et son épouse, pour persuader le premier qu’il doit renoncer à Mila et afin de fomenter son « attentat » de Sarajevo : conduire l’épouse à assassiner son mari. En contrepoint à ce récit, Perec crée une double scène par un flash-back (à la manière de son W bien postérieur) sur le célèbre attentat de 1914 dans la même ville. Entre les deux moments une question : savoir qui est un vrai meurtrier : celui qui le commet ou celui qui l’inspire.
Plus ou moins autobiographique — et écrit au retour d’un voyage en Yougoslavie dans les milieux intellectuels où l’auteur fut en proie à une peine de cœur -, le livre prouve que Perec n’était pas programmé pour le roman d’analyse ni pour les trophées amoureux. Et s’il n’était pas signé par l’auteur, ce roman serait resté fort justement aux oubliettes.
Qu’il soit écrit au galop n’y change rien. Au contraire même. Perec a compris qu’il n’était pas là dans son registre. Le texte restera moins une curiosité qu’un ovni banal. L’auteur lui-même a eu soin de le critiquer dans ses marges : un « meuh » souligne par exemple la platitude de certaines lignes biffées. Mais cette publication n’apporte rien à l’œuvre. Burgelin tente de prouver le contraire : il n’en est pas lui même convaincu.
jean-paul gavard-perret
Georges Pérec, L’attentat de Sarajevo, texte établi par C. Burgelin, Le Seuil, Paris, 2016., 208 p. — 18,00 €.