Ma Loute prouve combien grossir le trait sert à exacerber le cinéma comique et à dégager de la neurasthénie. Tourné dans une localité du Pas de Calais près de Boulogne sur mer, le film fait jouxter le monde des pêcheurs (joué par des artistes non professionnels) et celui de bourgeois décadents ( trois acteurs à dessein extravagants : Juliette Binoche, Valeria Bruni-Tedeschi et Lucchini). Existe une opposition entre le maniérisme et la nature, entre éloignement ou méfiance et rapprochement créé par une histoire d’amour.
L’attraction des contraires joue à plein. Lucchini est désossé, déformé, incliné au possible afin de recevoir une nouvelle direction (qui ne fut pas sans l’inquiéter dans sa prudence). Il trouve sa « forme » par son costume, sa bosse, sa voix non naturelle jusqu’à ce que son personnage inattendu apparaisse. Valeria Bruni-Tedeschi est à la fois folle, contrite et effacée. Juliette Binoche devient stricto sensu une Cécile Sorel, précieuse ridicule mais touchante.
L’autorité est sans cesse remise en cause par l’irrévérence, un côté mal élevé. Le tout pour rire de soi et du monde dans le retournement du motif en une parfaite beauté. Des scènes dramatiques naît le comique « par déraillement » dit le metteur en scène. Le film d’époque (1900–1920) permet d’exagérer l’opposition des classes de manière métaphorique par la poésie du passé.
Le paysage est vidé par gommage numérique pour offrir un plateau nu pour une superposition de récits (policier, romantique, etc.). Les genres se côtoient et s’additionnent de manière subtile dans un tragi-comique romantique. Plus que dans Petit Quiquin, l’auteur crée un expressionnisme particulier dans la coexistence des genres loin des conventions et du convenu. L’amour est mystifié. Le spectateur aussi. Et le film est une réussite.
jean-paul gavard-perret
Ma Loute
réalisateur : Bruno Dumont,
13 mai 2016 (2h 02min)
Avec Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valeria Bruni Tedeschi plus
Genre Comédie dramatique