Hervé Bauer, A l’article de la mort baroque

Coques en Styx et stucs

Il faut être vigi­lant devant cer­taines appel­la­tions comme il faut se méfier des imi­ta­tions. Hervé Bauer cultive au besoin les pre­mières mais ignore les secondes. Le goût (euphé­misme) pour la lit­té­ra­ture l’a poussé du côté du baroque. Pas n’importe lequel, celui où « l’exubérant feuillage s’enroule / au vide ». Et ce der­nier lui-même joue les filles de l’air par « men­teuses mou­lures » où le ciel se paro­die en stuc. Et c’est un délice intel­lec­tuel et esthé­tique. Hervé Bauer joue les équi­li­bristes ajou­tant au néant des « bat­te­ments fous ». Manière pour lui de décom­po­ser le temps, de le rete­nir, de s’en empa­rer quitte à « cou­per l’herbe sous le pied du prin­temps » mais tout autant à « re-brousser » la camarde.
Chaque page est signi­fi­ca­tive d’un regard atten­tif, presque voyeur (ciné­ma­to­gra­phi­que­ment par­lant) mais néan­moins dis­tan­cié. Il n’existe pas d’épanchements : juste des scènes vues selon un baroque para­doxal qui louche vers un « néo-réalisme » poé­tique. La lour­deur de la vie s’en trouve allé­gée. Bauer touche un sen­ti­ment éphé­mère, dis­crè­te­ment intime de l’existence. Chaque texte devient un petit voyage au sein de celui de l’existence jusque au moment où paradent les « linges d’agonie », là où est com­mué en cendre : « le trem­ble­ment de la chair ».

Mais, à sa manière, l’auteur écarte la détresse et le cha­grin comme le sublime et le pro­phé­tique. Il garde tou­jours le contact avec le réel là même où il semble dis­tan­cié. Per­siste un jacas­se­ment de fon­taines aux dépens du sac­cage inhé­rent à la fable humaine. Et si l’imaginaire vient à la res­cousse, il est tou­jours pré­senté de seconde main comme si la vie ne pou­vait être un rêve. Néan­moins, le poète n’est jamais cynique — quoique tou­jours inso­lent à sa manière, dans sa capa­cité à revi­vi­fier le sur­anné.
Exit les morts empha­tiques et les mar­mo­réennes figures : la chair exulte encore, même lorsque la seule vacance impose sa « gloire solaire ». N’est-ce pas là la manière de la lit­té­ra­ture de lut­ter contre les idées noires au moment où leurs vel­léi­tés demeurent pré­sentes pour recou­vrir le temps ?

De fait, Hervé Bauer, plus iro­nique qu’il n’y paraît, ne cesse de célé­brer le monde et la vie de manière biai­sée : là où, « dans la nef en péril », les voix sont écu­mantes, la céré­mo­nie litur­gique du poème suit son cours en ode à la vie ou au peu qu’elle est lorsqu’elle cla­pote en cer­tains bas­sins que le poète réanime. A la mort baroque fait face une vie plus ou moins linéaire classique.

jean-paul gavard-perret

Hervé Bauer, A l’article de la mort baroque, L’Harmattan, coll. Levée d’Ancre, Paris, 2016, 98 p. — 12, 50 €.

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