Jeanne Picq est une parfaite fabuliste. Elle donne au réel une substance qui le dépasse. La vision est parfois grave, taciturne mais pourtant toujours sous l’ironie et la farce nuancée. Les oeuvres permettent de penser l’être, son rapport à l’autre, au monde en une concentration source de simplicité : et cela reste le plus difficile dans l’art.
Jeanne Picq, en ses gravures impeccables, joue ainsi sur deux registres : la jubilation d’un parcours aussi dégingandé qu’initiatique. Il provoque un ravissement par un travail précis où l’art semble se dérober mais résiste pourtant de manière essentielle. C’est en ce sens que, sous l’apparente banalité, se cache le fantastique — comme il est fantastique, si l’on accepte d’y penser un peu, de posséder un nez et deux yeux, un nez entre les deux yeux.
La poésie des gravures est vivante, magnétique. Polissonnes, écoliers buissonniers prennent toutes les tangentes sous forme animale afin de jouer les filles de l’air et les garçons invisibles. Bref, de quoi tournebouler ceux qui n’ont pas comme Tintin marché sur la lune. Demeure avant tout “la fraîcheur de vivre”. Et pour cela, pas besoin des parfums menthol à la gomme : la gravure rend l’haleine fraîche.
L’art vit de son bestiaire. Les êtres jadis bien joufflus et potelés en diable redeviennent mammifères accroupis ou debout. Preuve que la fable décroche l’invisible et l’innommable en édits visuels. Quelque chose y avance sans que l’on puisse savoir ce qu’il en est de la perte et du gain. Ce qui est sûr : la gravure redore le blason de notre propre doute face à qui nous sommes.
jean-paul gavard-perret
Jeanne Picq, Organe (IK), L’œil ouvert / République, 1, rue Lucien Sampaix, 75010 Paris, du 12 au 28 mai 2016.