Marius Loris, Bouche louche

L’excès Loris

Bouche louche  est le pro­to­type même de la poé­sie enga­gée. Marius Loris se veut le révolté plus que le névro­tique, même s’il ébauche par­fois cette figure. Le poète est poli­tique, polé­miste donc for­cé­ment mora­li­sa­teur – et c’est bien là la limite de toute lit­té­ra­ture enga­gée. Le maté­ria­lisme his­to­rique crée tou­jours une éthique. Et le risque est tou­jours le même : convaincre les convain­cus.
Ce qui n’empêche pas au livre de rece­ler de belles réus­sites révé­la­trices des pro­fon­deurs de l’homme et de l’hypocrisie sociale ainsi que des façades du pou­voir. Chaque poème se vou­drait nou­veau lieu men­tal, sou­vent dans un lan­gage “ parlé ” et en une expres­sion proche de l’oral à tra­vers des idées qui comme l’écrit l’auteur « viennent du bide ».

Loris inter­pelle son lec­teur en pas­sant d’une atti­tude réflexive à l’exaltation ver­bale afin de pro­vo­quer des émo­tions pri­maires qui sont tou­jours incen­diaires par rap­port aux rigo­rismes du pou­voir éta­bli. Son texte se veut révé­la­teur des conven­tions et des pré­ju­gés et tente de fait jaillir sous « la peau de songe le « désir d’homme ». Mais le pro­pos n’est pas véri­ta­ble­ment sub­ver­sif.
Plu­tôt que sti­mu­ler l’imaginaire de son lec­teur l’auteur se limite à un constat hélas ! trop connu. Celui-là reste donc sur sa faim. Sans doute par ce qu’il manque ici ce que D.A.F. de Sade deman­dait à l’écrivain : “ nous faire voir l’homme non pas seule­ment tel qu’il est ou qu’il se montre, c’est le devoir de l’historien, mais tel qu’il peut être, tel que doivent le rendre les modi­fi­ca­tions du vice et les secousses des pas­sions ”, qu’elles soient indi­vi­duelles ou sociales.

Bref, Loris est révolté mais peu révol­tant car ses textes, trop diserts et quoique lyriques, ne sont pas suf­fi­sam­ment inépui­sables. Il manque une poé­sie du deve­nir, une langue nou­velle où se pro­pa­ge­rait un éche­lon­ne­ment de signi­fi­ca­tions qui lais­se­rait péné­trer la vie. Il manque sur­tout le plai­sir de la trans­gres­sion, même si l’auteur passe de l’individuel au col­lec­tif jusqu’à ten­ter de gan­gre­ner ce qui nous pèse.
Le livre dépasse trop rare­ment la cri­tique habi­tuelle poli­tique, sociale et his­to­rique. Certes, Bouche louche n’a rien de fri­vole et secon­daire mais l’auteur ne par­vient pas encore à renier les codes lit­té­raires afin de trans­mettre des idées sub­ver­sives capables de don­ner une com­pré­hen­sion plus pro­fonde des rap­ports qui unissent ou dés­unissent et régentent les êtres entre eux.

jean-paul gavard-perret

Marius Loris,  Bouche louche, Ate­lier de l’agneau, coll. « 25 », St. Quen­tin de Caplong, 2016, 70 p. — 14,00 €.

 

 

 

 

 

 

 

 

2 Comments

Filed under On jette !, Poésie

2 Responses to Marius Loris, Bouche louche

  1. fanny d.

    Bon­jour
    Je suis un lec­teur fervent du livre de Marius Loris et je trouve que pour un pre­mier livre, il le défend bien. J’ai aussi l’avantage de l’avoir entendu lire et son rythme hale­tant fait pour beau­coup dans la façon d’appréhender le texte aussi.

  2. guy niole

    il est donc à noter que marius loris n’aura pas droit à son petit entre­tien où on lui aurait posé comme ques­tions Quelle est sa cou­leur pré­fé­rée, A quoi il pense quand il se lève, Quand il a froid, un sou­ve­nir brû­lant lui revient-il à l’esprit? et ce genre de ren­sei­gne­ments qui nous dépassent un tan­ti­net.
    En effet, mon­sieur Gavart-Perret demande à un auteur de se sur­pas­ser dans “la cri­tique habi­tuelle poli­tique, sociale et his­to­rique” et d’être moins conven­tion­nel, plus révolté, inven­tif, alors que le jour­na­liste qui écrit cet article nous fait lire des entre­tiens dignes de Voici. Nous ne sau­rions trop conseiller à ce jeune auteur de maquiller sa bouche louche de rouge à lèvre et de se teindre en blonde, il aura peut-être un peu plus de chance, qui sait?
    un exemple ici :
    Éton­nant, non ?

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>