Les combustions intimes de Simone Pellegrini
Les œuvres de Simone Pelligrini sont des sortes de lacunes sidérantes. Elles rappellent le concept du manque qui demeure fondamental pour l’artiste italien. Néanmoins, ne se limitant pas à ce constat, le créateur cherche chaque fois à faire changer tout ce qui reste par quelques signes plus ou moins radicaux et simples. Ces signes à composante résiduelle, à l’image du « k » qui, inconnu dans la langue italienne, lui ajoute une forme de légende métamorphosent non seulement la perception mais la connaissance qu’elle induit.
Chaque œuvre devient un noyau de résistance : elle est corne, crinière, couronne capable de créer à la fois en surface mais aussi en profondeur une syntaxe fondamentale, voire une cosmologie étrange. Influencé par la lecture des philosophes comme par celle des ouvrages de physique, de sciences ou sur la Cabbale, l’artiste connaît la puissance équivoque de tout signe, de toute image. Chez lui, la seconde devient, pour la première, la métaphore filée parfois sobrement (dans ce livre) et parfois de manière plus lyrique et baroque dans le reste de l’œuvre.
Existent ici des allusions qui sortent d’un imaginaire biblique comme des sciences de la vie. C’est pourquoi l’artiste veut faire de chacune de ses images des foyers qui ne se consument pas et demeurent ardents. Apparaît donc un surplus d’énergie qui, au lieu de se disperser, se concentre dans la matrice de chaque image de manière parfois quasi-minimaliste et « pauvre ». Chacune devient le « négatif » (au sens photographique) de signes qui représentent des sortes d’épiphénomènes à sens multiples et opposés sur la matrice.
L’artiste s’attache donc à retenir quelque chose d’éphémère et de vivant. Il en décline la présence sachant que, plus cela est sourdement violent ou inattendu, plus il est difficile de l’appréhender. L’œuvre demeure un travail de résistance de signes premiers qui retrouvent là une vie première, détachée de tout contexte et de référence.
D’où l’aspect (faussement) surréaliste d’une œuvre. Si elle s’éloigne irrémédiablement du réel, c’est pour lui accorder un sens plus profond. En s’éloignant de la dualité vérité et mensonge peu satisfaisante dans l’art, Simone Pellegrini découvre des images qui parlent par elles-mêmes en un noyau de feu inaccessible de ce qui devient les éléments d’une cartographie du manque et de la perte consubstantielle à toute existence. Cette cartographie trouve dans « l’arbitraire » des signes une sorte de réalité parce que, justement, le signe acquiert chez l’artiste un caractère neuf et inaliénable.
Aimant à rappeler la phrase d’Hamlet : « l’oeuvre d’art est toujours le piège tendu pour le corps du roi », le créateur montre que toute œuvre doit garder le pouvoir fantasmatique de créer des images sourdes et profondes par lesquelles leur fomenteur, tel un fils perdu et par delà les références, crée des oeuvres inductives vers un rendez-vous qui n’a jamais lieu mais auquel l’artiste dessine une piste.
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jean-paul gavard-perret
Simone Pellegrini & Joel-Claude Meffre, Dans la chambre du silence, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2016, 24 p. — 900,00 €.