Que peut-il sortir d’une telle assemblée ?
Depuis plusieurs semaines, à l’Hôpital royal pour femmes et enfants, se déroule un phénomène étrange. Tous les soirs, vers minuit, six jeunes enfants se lèvent et vont se mettre en cercle sur une terrasse pour se livrer à des incantations, chanter dans une langue inconnue. Puis, ils se recouchent et se réveillent comme après une bonne luit, n’ayant aucun souvenir de leur escapade.
Lord Pomerol, le grand maître du ministère public des Affaires privées, alerté par le dirigeant de l’établissement, dépêche ses deux meilleurs agents, Artémis d’Harcourt et Casimir Dupré. Sur place, ceux-ci se heurtent à une volonté manifeste de minimiser les faits, tant par un directeur qui craint pour la réputation de son établissement que par un médecin qui voit uniquement dans la situation, l’occasion de publications à l’Académie de médecine pour connaître la gloire scientifique.
Il en faut plus pour décourager les deux agents qui découvrent un lien entre ces enfants, une atmosphère maléfique dans la clairière où ils ont été trouvés, qui s’étonnent du nombre d’agents démissionnaires. Mais leur enquête gêne des individus déterminés qui…
Pierre Boisserie est un scénariste prolifique et éclectique. Il signe ou co-signe dans des domaines historiques avec Flor de Luna, La Banque, Dantès, de science-fiction comme La Croix de Cazenac, Voyageur. Il a peu abordé le fantastique. Aussi, il est intéressant de voir avec quel esprit il aborde ce genre seul à l’écriture. Le scénariste imagine un couple d’enquêteurs que beaucoup de choses opposent. Elle est de descendance aristocratique alors qu’il traîne un passé de tueur, elle est éduquée alors qu’il est assez rustique… Pierre Boisserie se joue, avec eux, des clichés faisant, par exemple, de son héroïne, une jeune femme prête à partir en quelques secondes alors que le héros met un temps fou pour se préparer.
Il concocte une intrigue attractive où les événements du présent prennent leur source dans un passé lointain, un passé terrible qui fait appel aux forces primales, aux forces noires de la création. Mais le moteur principal du récit est cette quête du pouvoir sur les autres, cette volonté qui pervertit tout sentiment, toute humanité. Il suffit, aujourd’hui, de suivre le microcosme politique pour avoir une bonne idée de ce qu’il peut entraîner, peut faire faire à des individus qu’on ne peut plus qualifier de normalement constitués. Boisserie signe des dialogues piquants, des échanges fort humoristiques entre les héros.
Nicolas Bara a déjà eu l’occasion de faire équipe avec Pierre Boisserie pour Le Chant des Malpas (Dargaud, 2006). Il offre un graphisme très attrayant, donnant vie à des personnages bien typés, campés, tel ce garçon solide, cette jeune femme aux formes agréables à regarder qu’il habille de façon très ajustée, comme le fait remarquer son équipier. Il met en valeur l’ambiance gothique, envoûtante, ajoutant avec des couleurs sombres un aspect terrifiant. À la vue de cet album, on ne peut que regretter l’éloignement de ce dessinateur hors pair de la BD, lui préférant l’industrie du jeu vidéo, sans doute plus rémunérateur. Faudra-t-il donc attendre dix ans avant d’avoir le grand plaisir de retrouver un album de Nicolas Bara ?
Avec Le Concile des Arbres, ces deux créateurs réalisent un album de qualité, avec une intrigue intéressante, mettant en scène un fantastique attractif, et une mise en images particulièrement réussie.
serge perraud
Pierre Boisserie (scénario) & Nicolas Bara (dessin et couleur), Le Concile des Arbres, Dargaud, avril 2016, 64 p. – 14,99 €.