Christine Le Bozec, Barras

Barras peu aimé car peu aimable

Barras est une sorte de météo­rite dans l’histoire de France. Il sur­git, tel un diable de sa boîte, au soir du 9 ther­mi­dor pour abattre défi­ni­ti­ve­ment Robes­pierre et ses par­ti­sans, devient ensuite l’inamovible chef (en fait, l’un des Direc­teurs) du Direc­toire, ce régime à la répu­ta­tion dou­teuse, avant de dis­pa­raître comme un fan­tôme après le 18 bru­maire, chassé du pou­voir par le jeune géné­ral Bona­parte dont il a favo­risé l’ascension.
En fait, on ne sait rien de lui. C’est la rai­son pour laquelle on attend beau­coup de la bio­gra­phie que lui consacre Chris­tine Le Bozec. Qu’en ressort-il ?

Tout d’abord, l’auteur décrit un per­son­nage peu cultivé, un oppor­tu­niste dou­blé d’un piètre poli­tique qui n’a jamais su déve­lop­per la moindre vision à long terme ; un homme qui se voit comme l’éternel sau­veur de la répu­blique (ils sont nom­breux à y pré­tendre), y com­pris en uti­li­sant des moyens bien peu démo­cra­tiques… mais la Révo­lu­tion n’a-t-elle jamais été démo­cra­tique ? Bar­ras n’est en fait pas de taille à lut­ter contre des adver­saires de l’envergure de Sieyès ou de Bona­parte. Il sera balayé.
Certes, il sait faire preuve de déci­sion, et c’est sans doute sa prin­ci­pale qua­lité, à laquelle s’ajoute une bonne dose d’intuition et de roue­rie. Mais tout cela est insuf­fi­sant pour pal­lier sa cré­du­lité et même sa can­deur que l’auteur met bien en lumières.

Ensuite, Bar­ras appa­raît bien comme un homme de son temps. Impré­gné des Lumières, il s’enflamme pour la cause amé­ri­caine et éprouve une forte anglo­pho­bie. Il est sur­tout un répu­bli­cain, athée, anti­clé­ri­cal qui par­ti­cipe aux ter­ribles répres­sions de la Conven­tion, aux côtés d’autres « huma­nistes » comme Fou­ché et Car­rier que l’auteur pré­sente comme des dés­équi­li­brés alors qu’ils ne sont que des révo­lu­tion­naires.
Enfin, Chris­tine Le Bozec rela­ti­vise la légende noire de Bar­ras, à pro­pos de ses débauches, de son goût du luxe, sa cor­rup­tion. Elle main­tient la thèse de sa liai­son avec José­phine de Beau­har­nais que conteste dans un livre récent Pierre Branda (José­phine. Le para­doxe du cygne, Per­rin, 2015), lequel avan­çait même l’hypothèse de l’homosexualité de Bar­ras ! De plus, elle met en pièces la ver­sion his­to­rique fai­sant de Bar­ras un membre actif du com­plot contre Robes­pierre qui, selon l’auteur, n’a pas eu lieu (ce que conteste Emma­nuel de Wares­quiel dans son très beau Fou­ché. Les silences de la pieuvre, Tal­lan­dier, 2015). Selon elle, Bar­ras fut sim­ple­ment au bon endroit au bon moment.
Cet ouvrage est donc utile pour com­prendre cet homme peu connu et déci­dé­ment peu estimable.

fre­de­ric le moal

Chris­tine Le Bozec, Bar­ras, Per­rin, mars 2016, 400 p. — 24,00 €.

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