Erik Larson, Lusitania 1915 — La dernière traversée

Une tra­gé­die contée comme un thriller

Le ven­dredi 30 avril 1915, l’Unterseeboot-20 appa­reille du port d’Emden, sur la côte nord-ouest de l’Allemagne. Il a pour mis­sion d’attaquer les navires au large de Liver­pool, entre l’Angleterre et l’Irlande pour contrer une éven­tuelle inva­sion de l’Allemagne par les Bri­tan­niques depuis la mer du Nord. Il est sous les ordres de Wal­ther Schwie­ger, trente-deux ans, un des capi­taines les plus expé­ri­men­tés de la marine alle­mande. Ce même jour, à New York, le capi­taine William Tho­mas Tur­ner apprête son navire, le Lusi­ta­nia, sur­nommé “Le Lévrier des mers”, pour un départ le len­de­main à dix heures. Ce départ sera retardé pour accueillir de nou­veaux pas­sa­gers et pour lais­ser des­cendre la nièce du capi­taine qui s’était trou­vée blo­quée sur le paque­bot.
Parce que le nombre des pas­sa­gers n’est plus ce qu’il était en cette période de guerre, la Cunard, la société pro­prié­taire du bateau, veut faire des éco­no­mies. Sur le Lusi­ta­nia, une chau­dière est arrê­tée et le Lévrier met une jour­née de plus pour faire la tra­ver­sée. Le 7 mai 1915, peu après 14 heures, une tor­pille lan­cée depuis l’U-20 touche le paque­bot où se trouvent 1962 pas­sa­gers et membres d’équipage. En moins de vingt minutes, le navire coule dans une eau à douze degrés, fai­sant 1198 morts et dis­pa­rus.
Entre­temps, que s’est-il passé pour arri­ver à ce drame ?

Erik Lar­son raconte par le menu tous les élé­ments, tous les évé­ne­ments qui vont concou­rir à la tra­gé­die, tous les faits, même les plus infimes, qui ont mené à ce désastre. Il détaille le contexte, revient sur les pré­mices de la Grande Guerre, sur la course pour la supré­ma­tie mari­time entre le Royaume-Uni et l’Allemagne, une des rai­sons qui a motivé la construc­tion du Lusi­ta­nia, et de son frère jumeau le Mau­ré­ta­nia, par la com­pa­gnie Cunard, aidée finan­ciè­re­ment par le gou­ver­ne­ment. Il expose les stra­té­gies mili­taires avant et au début du conflit, les choix des ami­rau­tés enne­mies entre la guerre mari­time en sur­face et sous-marine. Ainsi, l’Allemagne choi­sit l’offensive alors que l’Angleterre pri­vi­lé­gie la défense de ses côtes.
L’Allemagne décrète les eaux bri­tan­niques zones de guerre pour jus­ti­fier la des­truc­tion de tous navires qui concourent à l’effort de guerre en trans­por­tant, sous des pavillons de com­plai­sance ou de pays neutres, des armes et des muni­tions pour les uni­tés enga­gées sur le front. En prin­cipe, les navires des pays non enga­gés et ceux trans­por­tant des civils doivent être épar­gnés. Ce ne sera pas le cas, un choix barbare.

Paral­lè­le­ment, Erik Lar­son détaille les prin­ci­paux acteurs du drame, à savoir le paque­bot et son com­man­dant, l’U-20 et son capi­taine, rela­tant avec force détails la car­rière des deux hommes et toutes les com­po­santes tech­niques des deux bateaux.
Puis il évoque lon­gue­ment, en pui­sant dans les témoi­gnages des pas­sa­gers sur­vi­vants, les jour­naux de bord, tous les docu­ments pos­sibles, l’inéluctable ren­contre, une attaque qui est la conver­gence de hasards et d’aléas déci­sifs abou­tis­sant à une situa­tion qui n’aurait pas dû avoir lieu, ren­forcé par un brouillard for­tuit, un orgueil mal placé, un secret bien gardé. En effet, dès les pre­miers jours de la guerre, les Anglais avaient coupé les câbles de com­mu­ni­ca­tion sous-marins alle­mands. Ces der­niers n’avaient plus recours qu’à la télé­gra­phie sans fil. Ces mes­sages étaient inter­cep­tés et arri­vaient à la Room 40, une struc­ture très dis­crète logée dans quelques bureaux lon­do­niens au cœur d’un bâti­ment joux­tant la Horse Guards Parade.
L’U-20 était suivi depuis le 30 avril par ce groupe ! Tur­ner ne sera pré­venu que tar­di­ve­ment, quand il approche des côtes irlan­daises, du dan­ger poten­tiel. Mais celui-ci craint d’abord le brouillard. À cette époque, les moyens de détec­tion, dans un banc, sont som­maires, le plus fiable res­tant la corne de brume.

Contrai­re­ment à une idée lar­ge­ment répan­due, ce drame ne fut pas le fait déclen­cheur pour l’entrée des États-Unis dans le conflit. Celle-ci n’aura lieu qu’en avril 1917. Pour l’heure, le pré­sident Tho­mas Woo­drow Wil­son, veuf depuis août 1914, fait sa cour à Edith qui a conquis son cœur…
Un livre à lire et à relire tant il est riche en infor­ma­tions de toutes natures. L’auteur ins­talle un sus­pense, construit son récit comme un thril­ler, met en place les com­po­santes de telle façon que l’on se prend, bien qu’on connaisse par­fai­te­ment le dénoue­ment, à espé­rer une autre fin, une autre conclu­sion, que le Lusi­ta­nia échappe au sort qui lui est promis.

serge per­raud

Erik Lar­son, Lusi­ta­nia 1915 — La der­nière tra­ver­sée, Cherche Midi, coll. “Ailleurs”, avril 2016, 638 p. – 22,00 €.

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