Fédor Dostoïevski, “Le Voleur honnête” in Premières miniatures

Dixième pierre du vaste édi­fice qu’a entre­pris de bâtir Julien Védrenne à la mémoire du grand écri­vain russe

Pourune pré­sen­ta­tion de l’ensemble du “dos­sier Dos­toïevski” dont cet article consti­tue le dixième volet, lire notre article d’introduction, où figure la liste des oeuvres chroniquées.

Le Voleur hon­nête (Tchésny vor en russe) est le dixième des récits de Fédor Dos­toïevski. Écrit en mars 1848, il est extrait des Car­nets d’un inconnu et a été publié dans la revue Les Car­nets patrio­tiques. Cette nou­velle de vingt-neuf pages figure, dans l’anthologie Pre­mières minia­tures, aux côtés de trois autres textes courts : Un roman en neuf lettres (Roman v déviani pis­makh, 1846), Pol­zoun­kov (Pol­zoun­kov, 1848) et Un sapin de Noël et un mariage (Iolka i svad’ba, 1848). La cou­ver­ture de la pré­sente édi­tion est illus­trée d’un détail de Jeune fille en fichu (vers 1830, pein­ture expo­sée au Rus­sian museum de Saint-Pétersbourg) de l’artiste russe Alexeï Venet­sia­nov (1780–1847).

Astafi Iva­no­vitch, tailleur de son état, devient loca­taire du cagibi de notre nar­ra­teur, selon le conseil d’Agraféna, sa cui­si­nière. Un jour qu’ils sont tous les trois réunis, ils ont la fâcheuse sur­prise de voir un sinistre inconnu leur déro­ber, sous leurs yeux, une redin­gote. S’ensuit une dis­cus­sion mon­trant à quel point c’est rageant de voir de tristes sires s’accaparer le labeur d’honnêtes artisans.

La soi­rée s’avance et Astafi Iva­no­vitch, après avoir remar­qué qu’il y a voleur et voleur, com­mence à racon­ter ce qui lui est arrivé deux années aupa­ra­vant. À cette époque, Astafi Iva­no­vitch avait fait la connais­sance dans une taverne d’un poi­vrot, Émé­lian Illitch, qu’il se décida à sor­tir de ce mau­vais pas.
Très vite, Émé­lian Illitch, qui n’est pas au demeu­rant un mau­vais bougre, se révèle être un para­site rongé par le vice et l’alcool. Il boit le moindre kopeck, et il est inca­pable de tenir une aiguille pour le plus simple des rac­com­mo­dages. Astafi Iva­no­vitch a du mal à joindre les deux bouts mais il pro­cure quand même un qui­gnon de pain et de la soupe au malheureux.

La situa­tion empire de jour en jour. Émé­lian Illitch boit et dort. Un jour, Astafi Iva­no­vitch doit par­tir. Il décide de n’en rien dire au poi­vrot. Or celui-ci retrouve sa trace et reprend ses habi­tudes. Puis, sur­vient l’événement pour lequel Astafi Iva­no­vitch a entamé sa nar­ra­tion : un beau jour, il constate la dis­pa­ri­tion de culottes dont la confec­tion devait lui pro­cu­rer un peu d’argent. Le voleur ne peut être qu’Émélian Illitch mais celui-ci nie for­mel­le­ment alors que tout l’accuse.

Les jour­nées se passent et Émé­lian Illitch, rongé par l’alcool et le remord, se meurt. La mort est source de confi­dence. Il avoue enfin son for­fait au moment de rendre son der­nier souffle sous le regard atten­dri et embué de notre mal­heu­reux tailleur qui lui par­donne. Émé­lian Illitch pro­pose d’être enterré nu pour que son bien­fai­teur puisse vendre sa parka et se rem­bour­ser, ainsi, du vol commis.

Cette nou­velle de Dos­toïevski - fait nou­veau mais qui devien­dra récur­rent — met en avant la cor­ré­la­tion remord / mort. Le remord d’une mau­vaise action ronge l’être jusqu’à la mort. La crainte du châ­ti­ment suprême pousse aux confes­sions afin d’apaiser l’âme. C’est un thème cher au très reli­gieux Dos­toïevski (cf. La Logeuse) exposé, ici, entre gens hon­nêtes mal­gré leurs souf­frances mul­tiples et leurs dif­fi­cul­tés à vivre.
Dans l’oeuvre de jeu­nesse qu’est “Le Voleur hon­nête”, on en n’est qu’au stade de l’ébauche. Cela augure des pro­chaines grandes fresques roma­nesques de la pleine matu­rité dos­toïevs­kienne. Sa période de matu­rité sera, aussi, mar­quée par ses années de bagne, qui signe­ront le deuil de l’insouciance — pour peu que l’on puisse par­ler d’insouciance chez cet auteur, à l’évidence torturé.

j. vedrenne

   
 

Fédor Dos­toïevski, “Le Voleur hon­nête” in Pre­mières minia­tures (Tra­duc­tion d’André Mar­ko­wicz), Actes Sud coll. “Babel” (vol. n° 455), 2000, 110 p. (29 pour la nou­velle) — 6,00 €.

 
     

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