L’essai d’Hubert Védrine constitue un vibrant plaidoyer en faveur de ce que les spécialistes des relations internationales appellent l’école réaliste. En effet, l’ancien ministre des Affaires étrangères lance des attaques en règle contre tout ce qui masque la réalité des sociétés et du monde, contre les idéalismes déstabilisateurs qui n’engendrent que des catastrophes :
– les « feux de cheminées médiatiques » qui vendent de la peur, du droitdel’hommisme et de la compassion à tout bout de champ ;
– le “roman masochiste antinational” qui alimente la haine de soi et de son histoire ;
– les internationalistes et autres mondialistes qui « ne se résignent pas à ce que l’Occident ne soit plus le maître du monde » et luttent encore pour exporter de prétendues valeurs universelles (démocratie, droits de l’homme) qui ne sont en réalité que celles de leur histoire;
– les européistes, plus fukuyamesques que Fukuyama, accrochés à une Union européenne construite « depuis l’origine sans racines, sans origines, post-historique et post-tragique, fondée par génération spontanée, sur le dépassement, voire la négation des nations et des identités des peuples comme celui de la puissance » (on se frotte les yeux en lisant cela !!) ;
– le politiquement correct qui empêche de juger sereinement l’islam et de « nommer un chat un chat », tout cela « au nom d’une ‘République’ de moins en moins clairement définie » (cf. sur ce point Frédéric Rouvillois, Etre (ou ne pas être) républicain).
Hubert Védrine ne cache pas un certain pessimisme au sujet de l’état du monde actuel et prévient ses lecteurs que « nous allons devoir vivre durablement dans un système mondial chaotique, en permanence instable » ; et ce, d’autant plus que la communauté internationale dont les mondialistes se gargarisent n’existe pas à ses yeux, du fait du fossé qui sépare désormais l’Occident des autres aires de civilisation. Toutefois, il n’écarte pas des scénarios optimistes, autour d’une Russie poutinienne qui cesserait d’être diabolisée et redeviendrait un élément d’équilibre, d’une Chine qui cesserait de faire peur et participerait à un système de sécurité collectif en Asie, d’un monde musulman réformé, reconstruit autour d’une sorte de traité de Westphalie, mais ce qu’il est encore loin de pourvoir faire.
A moins qu’une communauté ne se forme autour des questions écologiques, dans le sens du maintien de « l’habitabilité » de la Terre. C’est à l’évidence la conviction profonde de l’auteur.
De toute façon, l’Occident doit admettre qu’il a perdu son monopole sur les affaires du monde et en tirer les conséquences qui s’imposent. La première d’entre elles serait de cesser de vouloir transformer le reste de l’humanité en Occidentaux. L’école libérale n’a de cesse de faire de ses adversaires réalistes des cyniques fauteurs de guerre alors que ce sont bien ses disciples qui ont multiplié les guerres depuis 1991.
La diplomatie est l’art de discuter de la réalité. Il serait en effet temps de s’en souvenir.
frederic le moal
Hubert Védrine, Le monde au défi, Fayard, mars 2016, 117 p. — 13,50 €.