Le capitaine Aiglefin fait un horrible cauchemar. Il est marié à Alba Flore et celle-ci entend lui faire mener une vie bien différente de celle qu’il a toujours connue. À son réveil, à peine soulagé, il intègre avec peine la nouvelle information sur ses ancêtres. Il ne descend plus des Romanov… mais de Raspoutine. Saint-Tin, quant à lui, est toujours à la recherche de l’identité de son géniteur, de la preuve formelle qu’il est bien, lui l’enfant trouvé à Istanbul, le fils de Tintin le célèbre reporter.
C’est en regardant la télévision que le professeur Orphéon Margarine découvre la diva des livres, dont il est amoureux, sortant d’un hôtel new-yorkais, menottes aux poignets, encadrée par deux policiers. Mais celle-ci, qui a pu s’enfuir grâce à quelques amis, débarque au Moulin Tsar pour chercher réconfort et organiser sa défense. Elle a été arrêtée sur les accusations de son secrétaire, Valère de Ryen. Celui-ci révèle qu’elle n’a écrit aucun de ses livres et, en tant que nègre, porte plainte pour esclavagisme. La reine des librairies s’installe au Moulin Tsar et accroche un tableau moderne au-dessus de la cheminée. Cet acte amène les protagonistes dans un nouveau drame qui passe par l’île d’Ischia où habite la Castafiore, une nouvelle aventure qui est tout sauf paisible…
Gordon Zola pratique, depuis de nombreuses années, un art de la parodie qu’il porte à un niveau remarquable. Tout est prétexte pour jouer avec les mots, les expressions, les phrases, les consonnes, les sons, les homonymes, les synonymes… Il entremêle, fait évoluer, détourne et tord dans tous les sens un vocabulaire riche avec une inventivité singulière. C’est encore plus évocateur, plus révélateur en les prononçant à voix haute. Il donne le ton avec son pseudonyme qui évoque à la fois un célèbre fromage italien et un des meilleurs écrivains du XIXe siècle.
Gordon Zola est l’auteur principal de deux séries publiées par les éditions Le Léopard Démasqué : Les enquêtes du commissaire Guillaume Suitaume et Les Aventures de Saint-Tin et son ami Lou. Dans la première, il propose des intrigues policières décalées. Dans la seconde, il crée, à l’instar de l’Après, Tintin… de Frédéric Grolleau, un univers parodique de celui d’Hergé. C’est ainsi que le capitaine Haddock devient le capitaine Aiglefin, un éclusier, que Milou évolue en un perroquet qui connaît par cœur tous les poèmes de Victor Hugo, que le professeur Tournesol se transforme en Margarine, etc.
C’est la traque des origines de Saint-Tin qui est le fil conducteur de la série. Reprenant les titres de l’œuvre originale, l’auteur les parodie et les ajuste à son intrigue, ce qui donne de succulentes évolutions. On retrouve, par exemple, pour les plus parlantes : L’Affaire tourne au sale, Le secret d’Eulalie Corne, Le Crado pince fort…
Dans le présent volume, le 24e et dernier (comme les albums d’Hergé), il parodie Tintin et l’Alph-art et en profite pour livrer des paragraphes savoureux sur l’art moderne et ses excès, brocardant joyeusement l’héritière d’Hergé et surtout son époux. Ce couple, qui a fondé la société Moulinsart S.A., a bien tenté de faire interdire la série parodique mais a été débouté par la justice française.
Avec Saint-Tin et l’Art fat, Gordon Zola signe une parodie “pêchue”, avec une débauche de situations drolatiques, d’envolées lyriques, d’énumérations cocasses (à la San-Antonio de la grande époque) et une intrigue savoureusement mise en scène. À lire sans modération !
serge perraud
Gordon Zola, Saint-Tin et l’Art fat, Le Léopard Démasqué, février 2016, 160 p. – 11,00 €.