Le bonheur de retrouver le temps perdu
Dans un catalogue riche de titres anglo-saxons, le dernier opus paru chez Monsieur Toussaint Louverture, La Maison dans laquelle, fait figure d’OVNI. Il s’agit d’ailleurs du seul et unique roman de Mariam Petrosyan, écrivain arménienne russophone qui, à sa sortie en Russie, a suscité un engouement à la mesure de sa démesure.
La Maison du titre est un pensionnat pour enfants et adolescents handicapés (physiques ou mentaux) qui y vivent en quasi autarcie, tant est grand leur refus de l’Extérieur. De fait, les professeurs, le personnel de service, les médecins n’y jouent qu’un rôle marginal en dépit de leur présence constante en toile de fond. Parmi les adultes, seuls certains éducateurs sont dotés d’une véritable existence dans le monde des pensionnaires. Et ce monde, quel est-il ? Un univers à la fois prosaïque et imaginaire, dont le lecteur au même titre que les personnages renonce bien vite à délimiter les frontières. Cela ne signifie pas pour autant que la Maison ne soit pas régie par des règles très strictes, qui se dévoilent au fur et à mesure des expériences, se transmettent parfois de la manière la plus brutale, de promotion en promotion.
S’il s’agissait de résumer cet ouvrage foisonnant, je dirais que nous suivons la dernière année de la dernière promotion de la Maison avant sa destruction, en se concentrant plus particulièrement sur certains de ses occupants. Le lecteur pénètre dans la Maison avec un nouvel arrivant, Fumeur (car sitôt que vous franchissez son seuil, la Maison vous dépouille de votre nom civil pour lui substituer un sobriquet reflétant votre caractéristique principale), mais ensuite d’autres personnages prennent le relais de la narration, sans que le récit s’effectue nécessairement à la première personne. Citons, parmi ceux qui m’ont le plus marquée, Chacal-Tabaqui, un « Roulant » (entendez, en fauteuil roulant), amateur passionné de breloques et grigris en tous genres, jamais à cours d’histoires fantasques et hyperboliques censément véridiques ; Sphinx, dont l’histoire permettra au récit de donner un coup de projecteur sur le passé de la Maison et qui, comme son surnom l’indique, ne cesse de poser à ses camarades des questions existentielles ; Lord, dont la beauté à la Bowie n’a d’égal que le mystère de ses névroses…
Le chroniqueur qui tente de rendre en quelques lignes le contenu de ce roman mesure la difficulté de résumer une œuvre dont l’intérêt réside moins dans l’intrigue que dans l’explosion imaginaire à laquelle elle donne lieu. Cruauté, amour, désespoir, amitiés, haines, sentiment d’injustice, incompréhension… sont autant d’ingrédients (et la liste n’est pas exhaustive) de cette potion qui emporte le lecteur dans un tourbillon, le renvoie à sa propre vie d’adolescent et lui permet de vivre hors du temps, pendant les heures magiques qu’il passe dans La Maison…
agathe de lastyns
Mariam Petrosyan, La Maison dans laquelle, Monsieur Toussaint Louverture, mars 2016, 960 p. — 24,50 €.