Christophe Fourvel, Tant de silences

Les pro­fon­deurs cachées

Le silence est à la fois cadre et muraille. Les mots sont ses angles aveu­glés de ban­dages pour en conso­li­der la construc­tion. Ecrire, c’est pen­ser à pan­ser le silence pour scan­der le par­cours de ce qui n’a jamais été ver­ba­lisé et qui n’a pu « sor­tir ». Il s’agit d’enrober et déro­ber, voi­ler et dévoi­ler. A la ver­ti­ca­lité du silence répond l’horizontalité de la langue qui en devient l’horizon au moment où elle le fait par­ler.
Ecrire, c’est lui don­ner une matière visible, par la volonté qui admet au préa­lable que le silence agit en ses convul­sions enve­lop­pées et cachées. Le lan­gage ne doit pas sim­ple­ment en faire saillir les façades mais sa néces­sité. Il « refor­mule » ce qui lui est intrin­sè­que­ment opposé — d’où ce para­doxe : faire entendre la même chose que ce qui lui fait face en n’exprimant pas une vacuité cen­trale mais, au contraire, un trop-plein : ce qui ne peut se dire, le cein­turé du clamé étouffé, étouffant.

L’auteur prouve que la concep­tion du lan­gage est une approche des « lois » qui régissent le silence dans l’espace que le pre­mier « des­sine ». Il n’est pas une ven­geance contre ce qu’il n’est pas,  mais la « vidange » de  ce que le silence cache. Existe là  un spi­no­zisme appli­qué au lan­gage. Le dis­cours devient l’étroite bande d’ombre ou de noir, le bord exté­rieur du silence. S’inscrivent comme une « douve basse » (Bon­ne­foy), un déam­bu­la­toire qui entourent le c(h)oeur du silence. Pas à pas et pas du pas afin que s’ouvrent des sous-sols dans l’épaisseur givrée plus loin que la cendre. Juste cette des­cente faite d’effacements suc­ces­sifs, de remords opaques.
En ce feuilleté, Four­vel à la fois  lie et « épis­sure ». Il ne s’agit pas de sutu­rer le mutisme, mais, d’une cer­taine manière, de  le rejoindre, dans l’ouverture, par ce qui se des­sine, s’encre. D’où (aussi) le recours aux des­sins de Jean-Pierre Schnei­der. Car le silence ne se libère pas, il glisse len­te­ment sur ce talus d’encre jusqu’à la der­nière page blanche à nou­veau imma­cu­lée. Mais avant cette « fin », l’apologie du silence et celle de sa musique. Cela donne une idée de l’écrémage effec­tué dans la vie mais aussi de la rela­tion com­plexe entre une pra­tique quo­ti­dienne d‘écriture et celle de l’existence que Four­vel ins­crit à tra­vers de brèves notes pour la mémoire.

Preuve que, dans le silence, aussi, de vastes pou­mons se sou­lèvent. Le silence appa­raît comme un vrai lieu qui n’a rien d’un désert. Il existe tou­jours en lui une clé cachée, une réponse atten­due mais dif­fé­rée : la clé de l’être qui attend une réponse au silence là où se conti­nue une quête jamais nar­cis­sique et repliée sur l’intime : elle ouvre une pers­pec­tive de dépas­se­ment lucide sur les ten­sions qui lient à soi-même, au monde, à leur mutisme et donc à l’écriture.

jean-paul gavard-perret

Chris­tophe Four­vel,  Tant de silences, Des­sins de Jean-Pierre Schnei­der, lec­ture d’Emmanuel Blas de Roblès, L’Atelier Contem­po­rain, Stras­bourg, 2016, 14 x 22 cm,  128 p. - 20,00 €.

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