Le silence est à la fois cadre et muraille. Les mots sont ses angles aveuglés de bandages pour en consolider la construction. Ecrire, c’est penser à panser le silence pour scander le parcours de ce qui n’a jamais été verbalisé et qui n’a pu « sortir ». Il s’agit d’enrober et dérober, voiler et dévoiler. A la verticalité du silence répond l’horizontalité de la langue qui en devient l’horizon au moment où elle le fait parler.
Ecrire, c’est lui donner une matière visible, par la volonté qui admet au préalable que le silence agit en ses convulsions enveloppées et cachées. Le langage ne doit pas simplement en faire saillir les façades mais sa nécessité. Il « reformule » ce qui lui est intrinsèquement opposé — d’où ce paradoxe : faire entendre la même chose que ce qui lui fait face en n’exprimant pas une vacuité centrale mais, au contraire, un trop-plein : ce qui ne peut se dire, le ceinturé du clamé étouffé, étouffant.
L’auteur prouve que la conception du langage est une approche des « lois » qui régissent le silence dans l’espace que le premier « dessine ». Il n’est pas une vengeance contre ce qu’il n’est pas, mais la « vidange » de ce que le silence cache. Existe là un spinozisme appliqué au langage. Le discours devient l’étroite bande d’ombre ou de noir, le bord extérieur du silence. S’inscrivent comme une « douve basse » (Bonnefoy), un déambulatoire qui entourent le c(h)oeur du silence. Pas à pas et pas du pas afin que s’ouvrent des sous-sols dans l’épaisseur givrée plus loin que la cendre. Juste cette descente faite d’effacements successifs, de remords opaques.
En ce feuilleté, Fourvel à la fois lie et « épissure ». Il ne s’agit pas de suturer le mutisme, mais, d’une certaine manière, de le rejoindre, dans l’ouverture, par ce qui se dessine, s’encre. D’où (aussi) le recours aux dessins de Jean-Pierre Schneider. Car le silence ne se libère pas, il glisse lentement sur ce talus d’encre jusqu’à la dernière page blanche à nouveau immaculée. Mais avant cette « fin », l’apologie du silence et celle de sa musique. Cela donne une idée de l’écrémage effectué dans la vie mais aussi de la relation complexe entre une pratique quotidienne d‘écriture et celle de l’existence que Fourvel inscrit à travers de brèves notes pour la mémoire.
Preuve que, dans le silence, aussi, de vastes poumons se soulèvent. Le silence apparaît comme un vrai lieu qui n’a rien d’un désert. Il existe toujours en lui une clé cachée, une réponse attendue mais différée : la clé de l’être qui attend une réponse au silence là où se continue une quête jamais narcissique et repliée sur l’intime : elle ouvre une perspective de dépassement lucide sur les tensions qui lient à soi-même, au monde, à leur mutisme et donc à l’écriture.
jean-paul gavard-perret
Christophe Fourvel, Tant de silences, Dessins de Jean-Pierre Schneider, lecture d’Emmanuel Blas de Roblès, L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 2016, 14 x 22 cm, 128 p. - 20,00 €.