François Andes invente un monde dont le bestiaire dessine la perte et le plaisir. Sadiques, ses hybrides demi-humains et demi-animaux aux dents rouges ignorent le deuil ou la mélancolie. Tout est de l’ordre de la coupure, de la charcuterie : on est plus près de Peter Witkin que de Sarah Moon. Mais ce travail (dessin, installation, performance, sculpture) permet de reconnaître le lieu où le sujet se creuse, se mange du dedans.
Présenter les monstres qui nous hantent et que nous agitons avec voracité revient à tatouer notre vide, à le “grogner”. En conséquence, François Andes apprend comment demeurer fidèle à la bête et, paradoxalement, la montrer devient la tentative de mettre des noms sur les animaux qui nous boivent, nous sucent, nous crachent. Plus question de de fantasmer “écologiquement” à leur sujet. Ce n’est pas le sujet !
L’art peut donc l’animal. La décision radicale qui habite le créateur l’impose mais selon une vision “gonzo”. “L’animalisation” crée moins la coagulation de nos fantasmes que de nos fantômes. Elle nous affecte mais sous le mode de l’incompréhension sidérante. Le créateur anime tous les étrangers qui lient au peu que nous sommes. Ils proposent la visualisation de l’espace qui nous sépare de nous-mêmes et rappellent la vie d’avant le jour et d’avant le langage.
Il convient d’entrer dans leur épaisseur : nous nous débattons avec eux non sans ambiguïté et hérésie. Il faut donc préférer cette imagerie de nos damnés et souhaiter l’impureté du zoo qui nous habite à la caserne de notre prétendue pureté. François Andes fait passer du paroxysme de l’idéal à l’abîme bestial, son enfer, sa germination selon une perspective que nous voulons ignorer. Elle est sans le vouloir politique et héroïque quoique déclinée sous le joug amical de la dérision.
Chaque pièce permet de se souvenir de grands soirs ou de cauchemars qui ne sont pas encore advenus. Cela sent le souffre et la farce. L’œuvre constitue la longue allée inaccomplie des animaux. Allant à leur chasse ou à leur rencontre, à travers nos déserts d‘ennui, nous les annexons et l’artiste les dévoile. Sans cesse donc, nos bêtes glissent vers le tronc de nos heures et de nos nuits.
Nous sommes comme les “personnages” du créateur : nous nous revêtons d’un pelage ou nous nous vautrons dans des fables iconoclastes. D’où la séparation des êtres de leur ange gardien au profit du suint de Méphisto fait d’aise et de ses griffes. Reste le pouvoir de la bête. Sa hantise, ses coloris, ses cris, ses poils, son rire, sa dynamique. D’où l’incendie baroque où l’animal n’est jamais maîtrisé. Il serpente, écrasant ou attisant l’inconscient qui s’y concentre pour percer sa peau fuyante. François Andes l’a bien compris. Qu’est notre corps si ce n’est une immense réserve sauvage ?
jean-paul gavard-perret
François Andes, Renaissance, Château de Flers, Lille, du 5 février au 22 mai 2015.