De la subversion du 7ème art
Amos Vogel (mort en 2012 à l’âge de 92 ans) fut le cofondateur du célèbre festival de New York en 1963. Il avait créé aussi le ciné-club “Cinéma 16″ avec sa femme. Il permit de faire découvrir aux new-yorkais des cinéastes européens (Alain Resnais, Agnès Varda, Roman Polanski) et les cinéastes indépendants américains tels que John Cassavetes. Il était aussi partie prenante des comités de sélections des grands festivals du cinéma (Cannes, Berlin, Venise). Son livre reste un des livres majeurs sur le 7ème art puisqu’il a permis de mettre à jour les films les plus subversifs ou considérés comme tels et quels qu’en soient les genres.
L’auteur n’a eu cesse d’interroger les réalisations déconcertantes : films d’avant-garde et expérimentaux mais aussi tous ceux qui osent montrer ce que le public (ou surtout les censures) ne voulaient pas regarder ou laisser regarder. A savoir, comme l’écrivit Elise Dion à propos du livre : « de belles images bien sales, bien dérangeantes, bien mal foutues, du malaise à en recracher son dégoût, son admiration, son aversion, son interrogation, son incompréhension, son extase ». L’auteur donne dans son livre une sorte de listing sauvage des films capables de mettre le spectateur en position inconfortable.
Il fut aussi un des rares à défendre des cinéastes majeurs qui, sans lui, n’auraient peut-être jamais été reconnus. Citons, entre autres, deux exemples. Arakawa et son Why Not. Le réalisateur y pratiquait la mise à nu d’une jeune femme qui procède à l’exploration sensuelle d’objets (une table, une poignée de porte, une orange, une cuvette de WC, un canapé) dans un environnement domestique graduellement prédateur, culminant en une scène de masturbation à l’aide d’une roue de bicyclette. Dominique Gonzalez-Foerster fut aussi défendu par Vogel. Il vit en lui un des rares réalisateurs capables de reconfigurer le cinéma en injectant le poison du narratif par quelques larmes autant par le son (Riyo, Île de beauté, Atomic Park) que par le montage (Malus, Gold). Quant à son Belle comme le jour, il le considère comme « un prélude et prequel à Belle de jour de Luis Buñuel et à Belle toujours de Manoel de Oliveira ».
Vogel défendit aussi ces deux réalisateurs. En particulier, Bunuel. Le cinéaste espagnol le séduisit par ses images traumatisantes, suggérant diverses pratiques sexuelles : sado-masochisme, nécrophilie, etc. Désormais éculées et vieillottes, les images ont du mal à tenir dans le temps. Bunuel n’apparaît plus le maître en subversion que Vogel défendait. Il n’empêche pas que son livre reste plus qu’intéressant. Et c’est un euphémisme. L’’auteur y reste sensible à tous les éléments du « filmique » et ses « nexus ».
Pour chaque œuvre, Vogel explique comment le narratif dépend d’installations et de plasticités singulières. Il montre parfaitement comment la nudité et ce qu’elle induit demeurent toujours problématiques dans la société comme au cinéma. Vogel explique aussi comment la satisfaction pulsionnelle met en exergue par les films le gain d’une “dépense” particulière au moyen de la fabrication d’objets dégagés de leur valeur d’usage vers d’autres fonctionnalités plus secrètes.
Le cinéma devient donc pour lui le médium capable de faire glisser de l’ombre à la lumière en des assemblages protéiformes (au fil du temps) et souvent exogènes. Du moins lorsque le 7ème art est aux mains de créateurs dignes de ce nom.
jean-paul gavard-perret
Amos Vogel, Le cinéma, art subversif (réédition), Capricci, 2016, Paris.