Le conte inspiré par les dessins satiriques de Denis Pouppeville n’a rien d’une féerie glacée. Morgane et Viviane n’ont pas besoin de lutins pour se faire lutiner. Un seul amant suffit aux « fumeuses fatales » pour une ripaille à six jambons. Leur bouc y devient le commissaire d’agapes lascives avant de devenir émissaire. De jours comme de nuits, d’abord tout coulisse.
Gilbert Lascault crée une fable à sa main dans laquelle nulle morale n’est à attendre. L’amusement est de rigueur mais, messe dite, il faut que ça saigne : cigarettes des petites “pépées”, leurs couteaux et tout l’arsenal cher au funambule Pouppeville (roues, chariots, baguettes et tambours, etc.) créent une dictature de la bouffonnerie avec un début d’incendie dans la prunelle et le mystère de la vie et de la mort en plein soleil comme sous la lune.
Les mélusines arthuriennes deviennent d’habiles traîtresses. Sous leur feinte naïveté, le voyeur est pris en un leurre poétique et drôle. Au mirage de leurs ressemblances, les fées s’en donnent à corps joie. Elles se transforment en icônes dont l’aura tient d’une certaine charcuterie. Morgane et Viviane n’ont que faire de mêler les temps et les galaxies. Elles s’amusent. Se prend alors pour vraie la rencontre entre les images du créateur et les mots du conteur.
Le voyeur croit à la transparence de la fable même si l’ensemencement des dessins de Pouppeville la plonge dans une étrange folie. Et plutôt que d’embaumer les corps, Lascault y glisse des indices comme au fond d’un jeu de pistes. Il s’y tient au bord comme ses fées dans des coursives qui donnent accès à des antichambres secrètes. Elles y sont plus abeilles que détenues. Leurs silhouettes sont belles et pâles comme celles des femmes dans les films d’Ozu. Elles sont là, elles sont loin. Et c’est surtout cette seconde situation qui rassure le lecteur. A bon entendeur, salut.
jean-paul gavard-perret
Gilbert Lascault & Denis Pouppeville, Les fumeuses fatales, Editions Fata Morgana, Frontfroide le Haut, 2016, 56 p.