A travers divers médiums, Cornelia Eichhorn engendre bien des brèches dans la représentation de l’être et de la femme en particulier. Son travail crée des présences qui deviennent le champ actif d’une imprévisible expérience sous le joug de formes de sidération à multiples entrées et selon des « cérémonies » critiques du statut réservé aux femmes. Surgissent l’extase et le risque.
La radicalité des vues est métamorphosée par jeu de lignes d’harmonie en secondes et tierces. L’imbrication de l’homme et de la femme inspire parfois un certain l’effroi : l’artiste peut le mener à un degré suprême de tension. Mais Cornelia Eichhorn crée toujours la lumière au milieu d’une nuit où se joue l’évanouissement de la réalité du monde.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La pensée d’un bon petit déjeuner et une grosse tasse de café.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
J’aurais bien voulu pouvoir voler comme l’ange dans « Les ailes du désir »…
A quoi avez-vous renoncé ?
Habiter près de ma famille qui me manque souvent.
D’où venez-vous ?
J’ai vécu jusqu’à 8 ans en RDA et ensuite dans une trop petite ville en Bavière.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
De m’intéresser à trop de choses.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Mes 8h de sommeil.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Le mot « distinction » en soi pose un paradoxe en moi en général, j’aime beaucoup l’individualisme, mais en même temps « se distinguer » sépare, cloisonne et exclut, alors que j’ai aussi un besoin d’appartenir aux autres.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
“Die Hülsenbeckschen Kinder” (1805/06) de Philipp Otto Runge dont ma mère avait accroché une copie dans ma chambre d’enfant et, concernant les visites d’expositions, quand j’étais plus jeune, ‘The Sleepers and the One who Watcheth’ (1870) de Simeon Solomon lors d’une exposition sur les Pré-raphaélites
Et votre première lecture ?
Plein de contes européens et des pays de l’est, mais mes préférés sont « Jorinde et Joringel » et « Jungfrau Maleen » des frères Grimm et des contes kazakh : « Le rêve de Sarsembaï” et ”La belle Mirshan et le souverain de l’empire sous-marin”.
Comment définiriez-vous votre approche du corps féminin ?
Elle est intrinsèque à mon travail, pas toujours positif et j’aime bien mélanger le masculin et le féminin.
Quelles musiques écoutez-vous ?
De la musique concrète, éléctronique, expérimentale, “ambiant”, Einstürzende Neubauten, Kate Bush, les années 90, Joy Division…
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« L’idiot » et « Les frères Karamasov » de Dostoïevski.
Quel film vous fait pleurer ?
Tous les films de Tarkovski.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Mes ancêtres, mes parents en jeune. J’ai beaucoup de photos d’eux et je trouve ça fou de comparer et de retrouver leurs traits chez moi, tout mélangé. Surtout une photo de mon père adolescent, on dirait moi au masculin.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A mon grand-père maternel qui était peintre, mais qui a quitté ma grand-mère et ma mère quand cette dernière avait 6 ans, donc je ne l’ai vu que deux fois dans ma vie. Ses toiles sont accrochées chez ma mère maintenant et je les trouve super. J’aurais bien voulu parler plus avec lui, mais il n’est plus.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La Mongolie, le Mont Everest, les Andes, Tchernobyl ou en général les lieux où l’Homme peut se sentir petit.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
La liste est longue…Jérôme Bosch, Pieter Brueghel, Albrecht Dürer, Jan van Eyck, les Préraphaélites, Hans Bellmer et Unica Zürn, Louise Bourgeois, Matthew Barney, Jan Svankmajer, Neo Rauch, Michaël Borremans, Tarkovski père et fils, Dostoïevski, Kafka, Hesse, Thomas Mann, La Nouvelle Objectivité surtout Beckmann, Dix et Schad, Paul McCarthy, Marina Abramovic, le glamour de l’Hollywood des années 40, Jérôme Zonder, Ana Mendieta, Käthe Kollwitz, Ulrike Ottinger, Frida Kahlo, René Girard …
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Des mots gentils et sincères , que les gens pensent à moi et puis du « temps ».
Que défendez-vous ?
J’aime bien parler à outrance des choses enfouies par la société.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Même si c’est un peu réfractaire et sombre, ça peut être très vrai parfois hélas !
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Personnellement, je dois apprendre à dire plus souvent « non ».
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
La réponse est oui mais quelles étaient les questions ?
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 1er avril 2016.
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