Dan Brown, Da Vinci Code

La révé­la­tion de l’imposture magis­trale : j’y pense et puis j’oublie

G.M.G. Baur est venu à la lit­té­ra­ture après des études aux Beaux-Arts. Il écrit un livre culte chez les gra­phistes La vie sexuelle des robots (Prix de l’Académie Alphonse Allais). Puis une pièce de théâtre La fon­taine de Cas­ta­lie, un essai sur l’art Vivre l’art, et son pre­mier roman Pro­fu­sion de petits os tendres a paru chez NP édi­tions en 2001.

Du risque en lit­té­ra­ture : quand Mona Lisait…

Je viens de refer­mer Da Vinci Code. Comme tout le monde l’a lu et l’a trouvé génial, je me suis dit que ce livre avait sans doute quelque secret de fabri­ca­tion. Et puis l’engouement, que dis-je : la foi popu­laire, entraîne et pousse à croire. Un effet d’aspiration.
D’entrée, l’écriture m’est appa­rue si plate que j’ai failli décro­cher puis, poussé par la force de per­sua­sion avec laquelle on me l’avait conseillé, voire imposé : — Tu dois abso­lu­ment lire ça ! — je me suis remis à l’ouvrage. Page après page, faute d’esprit, ça pre­nait corps avec son côté Bel­phé­gor et Indiana Jones, mys­tère et aven­ture, cryptes et mes­sages cryp­tés (crypté doit venir de crypte ou l’inverse). Un peu Tin­tin chez Rah­kam le Rouge jouant à saute-mouton sur des énigmes alam­bi­quées, retorses, chif­frées, indé­chif­frables mais tout de même déchiffrées.

J’avoue l’avoir dévoré, happé par son sus­pense… ou quelque sor­ti­lège de la sorte. Cap­ti­vant, certes ! dis­trayant, un rien gon­flé même… Et Sam­son décoiffé de mettre en branle les colonnes du temple, de dis­lo­quer les fon­da­tions de l’Église, les sys­tèmes de croyance, les pou­voirs reli­gieux, tous ces colosses aux pieds d’argile qui jouent les Goliath depuis deux cents lustres sans appor­ter la moindre preuve de divine lumière.
Les Méro­vin­giens des­cen­dant en ligne directe du Christ, et les Tem­pliers et les Rose-Croix, et les Cathares et les Gnos­tiques, tout cela me replon­geait dans les livres d’ésotérisme que j’ai lus çà et là il y a quelque temps déjà. Le grand secret de l’imposture était connu depuis bien long­temps. Come back de Jésus au Vati­can, coup d’œil sur tout cet or, ces orne­ments, ces marbres, ces cha­subles, ces mitres, ces pri­vi­lèges… et ces qui­dams ordon­nés se fai­sant don­ner du “Mon­sei­gneur” à tour de bras… J’imagine son éclat… de rire. Voilà sans doute un autre livre à écrire.

En reli­gion comme en pub, la croyance crée la cha­lan­dise. C’est une force de la phy­sique fon­da­men­tale : l’attraction dans le vide. Ô la belle et for­mi­dable force des croyances basées sur cet admi­rable pos­tu­lat : “Si tout le monde croit, c’est que ça doit être vrai !” Ce livre, emporté par le même phé­no­mène, est devenu phé­no­mène à son tour, épi­pha­nie annon­çant la révé­la­tion d’un secret à un monde de fidèles (lec­teurs) qui de toute façon retour­ne­ront à leur croyance tra­di­tion­nelle une fois le livre refermé ; la révé­la­tion de l’imposture magis­trale, sujet si cher à Umberto Eco (Le Pen­dule de Fou­cault), étant de suite jetée aux oubliettes. J’y pense et puis j’oublie…

Un thril­ler, un sus­pense, c’est vrai. C’est un excellent scé­na­rio de film. Il est d’ailleurs écrit comme un scé­na­rio… sans écri­ture, juste avec le mini­mum pour que les images men­tales prennent toute la place. Et nous sommes là au coeur de la Lit­té­ra­ture. Doit-elle s’effacer devant le pro­pos, modes­te­ment, sage­ment, tel le moine devant la magni­fi­cence du jour… Ou bien les mots doivent-ils se mon­trer plus brillants que la vive lumière des appa­rences ?
Les mots, par­ti­cules empor­tées dans un tor­rent de phrases qui chantent et scin­tillent de leur propre éclat… “J’aimerais écrire un livre sur rien” écri­vait Flau­bert dans sa Cor­res­pon­dance. Oui, ne prendre le sujet que pour pré­texte et tra­vailler la matière même du lan­gage comme des cou­leurs mélan­gées sur la toile.
L’art, celui de l’écriture comme les autres, se situe là, non dans le sujet mais dans sa mise en forme, dans son exploi­ta­tion et sa tra­hi­son magis­trale. Trans­for­ma­tion de la glaise en or. Cares­ser les che­veux de la poé­sie tout en res­tant intel­li­gible, tout en racon­tant une his­toire. Cela tient du fil­de­fé­riste. Gar­der l’équilibre en avan­çant sur le fil tendu du texte tou­jours à la limite de la perte d’équilibre.

La lit­té­ra­ture n’est pas sans risque. Bien ! Da Vinci Code refermé, il ne m’en reste rien. Quelques anec­dotes, un peu d’histoire, des frag­ments de sens, rien qui fon­da­men­ta­le­ment me bous­cule. Alors j’ouvre au hasard une page de Henry Mil­ler (Sexus, que je relis en ce moment). Une seule de ses pages me fait vibrer comme une harpe, m’emporte dans sa barque, me fait cha­vi­rer, me sauve et me ramène. Enfin, je tra­verse un cou­rant de lit­té­ra­ture, je suis dans les rapides, qui m’entraînent vers la chute magni­fique, je vogue avec délice brûlé par ce feu d’écriture. De la pure éner­gie !
N’allez pas com­pa­rer Da Vinci avec Mil­ler ! Je vous entends déjà me crier ça à l’oreille. Ce n’est pas pareil ! pas com­pa­rable ! Oui mais… Da Vinci Code est un suc­cès mon­dial, un roman-ouragan. Le lec­teur, ce croyant habi­tué aux chi­mères, vivra cette aven­ture en se fou­tant bien de la Lit­té­ra­ture. Quant à Léo­nardo, sa pein­ture est autre­ment concer­nante, bien plus par sa forme que par ses secrets. Et puis d’abord, on ne dit pas “Mona Lisa” mais “Mona Lisait” !

G.M.G Baur

Dan Brown, Da Vinci Code (tra­duit par Daniel Roche), Lat­tès, 2004, 574 p.- 22,00 €.


© 2004–2012 LELITTERAIRE.COM
Tous droits de repro­duc­tion et de repré­sen­ta­tion réser­vés. Toutes les infor­ma­tions repro­duites dans cette rubrique (texte, pho­tos, logos) sont pro­té­gées par des droits de pro­priété intel­lec­tuelle déte­nus par lelitteraire.com. Par consé­quent, aucune de ces infor­ma­tions ne peut être repro­duite, modi­fiée, redif­fu­sée, tra­duite, ven­due, exploi­tée com­mer­cia­le­ment ou réuti­li­sée de quelque manière que ce soit sans l’accord préa­lable écrit de La Rédaction.

Leave a Comment

Filed under On jette !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>