Entretien 1 avec Hugo Marsan (Les jours heureux/La gare des faux départs)

Hugo Mar­san dit avoir été dans sa jeu­nesse un lec­teur pure­ment émo­tif. Il est aujourd’hui un écri­vain qui émeut. Dans ses livres et en par­lant de son art

Que l’on trouve dans la biblio­gra­phie d’Hugo Mar­san des titres comme Les jours heu­reuxsa der­nière oeuvre, qui est aussi sa pre­mière pièce de théâtre, don­née en lec­ture à l’Hôtel de Massa en juin der­nier — ou Place du bon­heur ne signi­fie pas, bien au contraire, qu’il nous entre­tienne, dans ces textes, de joie pure ni même de bien-être. Il y a tou­jours de la souf­france, de la dou­leur ou, du moins, de la mélan­co­lie sous-jacentes. Pour­tant l’on ne décè­lera nulle trace de pathos. Mais de l’émotion. De l’émotion vibrante qui jaillit des mots et des phrases comme l’étincelle entre deux silex frot­tés l’un contre l’autre.
Cette apti­tude à faire sourdre l’émotion vient peut-être de ce qu’il fut, jeune, un “lec­teur émo­tif”. Une atti­tude qu’il dit avoir dépas­sée aujourd’hui, sans quoi il ne serait sans doute pas devenu le cri­tique que l’on sait. Mais lorsqu’il parle de son art, de son tra­vail, de ses per­son­nages… la vibra­tion est là, à fleur de voix. Un mot, par­fois, s’étrangle imper­cep­ti­ble­ment ; ailleurs c’est un peu d’amertume qui pointe, les phrases s’infléchissent, la parole file. Un dévoi­le­ment s’opère…

Quel a été votre par­cours d’écrivain ?
Hugo Mar­san :
J’ai com­mencé à écrire très tard dans ma vie : contrai­re­ment à beau­coup de gens, je n’ai rien écrit pen­dant mon ado­les­cence. Pas de poèmes, pas de lettres ni de nou­velles… rien. En revanche, j’étais un grand lec­teur ; il faut dire que j’ai été très malade quand j’étais enfant, et je n’avais que la lec­ture pour me sau­ver. Ensuite, j’ai été un ado­les­cent qui lisait pour se ras­su­rer et sur­tout pour don­ner à sa vie plus d’ampleur qu’elle n’en avait. C’était une époque où j’étais très soli­taire et les plus grandes satis­fac­tions me venaient de l’imaginaire — en cela j’étais très dif­fé­rent de mes sœurs et de mon frère, qui ne sont pas du tout lit­té­raires : ils avaient alors des rai­sons de vivre pra­tiques qui me fai­saient défaut. Mais j’étais un lec­teur pure­ment émo­tif, qui cher­chait dans ses lec­tures des réponses aux ques­tions qu’il se posait — et de mon point de vue, ce n’est pas une lec­ture per­ti­nente. Disons que c’est un pre­mier niveau de lec­ture, et il s’épuise très vite, sur­tout en ce qui concerne les textes de fic­tion. J’ai pris conscience de cela bien plus tard, au cours de mes études de Lettres, en décou­vrant le Struc­tu­ra­lisme, cette théo­rie qui décrypte les textes grâce à des réseaux de com­pré­hen­sion. On notera au pas­sage que ces réseaux n’opèrent que chez les grands écri­vains… Cela ne signi­fie pas que ces der­niers savent qu’ils appliquent des règles en écri­vant, mais que leurs écrits, du fait même du savoir-faire et du talent de leurs auteurs, peuvent être ana­ly­sés selon les prin­cipes éta­blis par les struc­tu­ra­listes. À tra­vers ces prin­cipes, j’ai pu com­prendre la tech­nique de l’écriture, son fonc­tion­ne­ment, et mon approche de la lec­ture en a été chan­gée du tout au tout.
Mais je n’avais pas encore envie d’écrire… mes pré­oc­cu­pa­tions d’alors étaient presque exclu­si­ve­ment tour­nées vers ma vie affec­tive et amou­reuse. Puis, aux envi­rons de 40 ans, j’ai réa­lisé que la vie ne m’apporterait jamais le bon­heur — le bon­heur, ce n’est rien d’autre qu’un mot qui cir­cule dans les romans et qui s’effrite au contact de la réa­lité. À ce moment-là j’allais très mal, j’ai même tra­versé une période sui­ci­daire. Un déclic s’est pro­duit quand j’ai lu dans un jour­nal une annonce pour un concours de nou­velles. J’ai décidé d’y par­ti­ci­per — alors que je n’avais encore rien écrit, je tiens à le répé­ter ! J’ai écrit ma nou­velle en un week-end — la date limite d’envoi des textes était fixée au lundi qui sui­vait, je l’ai donc pos­tée in extre­mis… Et j’ai eu le pre­mier prix. J’ai d’ailleurs reçu une lettre très enthou­siaste qui me pré­ci­sait que mon texte avait recueilli la quasi-unanimité du jury. Ce prix a été déci­sif pour moi : il m’a prouvé que des gens qui ne savaient rien de moi pou­vaient être inté­res­sés par mon écri­ture — et donc que j’avais dépassé le stade de l’écriture “à usage per­son­nel”, celle qui n’est qu’une simili-analyse. Je fus ainsi conforté dans l’idée que je pou­vais écrire et, à la suite de ce concours, je me suis lancé dans la rédac­tion de mon pre­mier roman. Même s’il a été publié dans des condi­tions désas­treuses, ce manus­crit qui devient un livre est une étape d’une extrême impor­tance : le texte existe alors maté­riel­le­ment en dehors de celui qui l’a écrit, il com­mence une “vraie vie” — et j’avais connu un avant-goût de cela lorsque ma nou­velle pri­mée avait été impri­mée dans une revue.
À par­tir de là j’ai pris très au sérieux le fait d’écrire, j’ai tra­vaillé, réflé­chi à l’écriture — et je peux dire que c’est à ce moment-là que je suis véri­ta­ble­ment devenu écri­vain. Roman­cier serait d’ailleurs un terme mieux appro­prié : c’est la fic­tion qui me pas­sionne par-dessus tout, d’autant que j’ai l’imagination très fer­tile… J’ai certes écrit des essais, mais c’étaient des ouvrages de com­mande qui, à mes yeux, n’ont aucun inté­rêt sur le plan lit­té­raire. Le pre­mier por­tait sur l’homosexualité mas­cu­line ; je l’ai écrit à une époque où je pen­sais qu’il était indis­pen­sable de témoi­gner sur ce sujet. Le second ouvrage avait trait au SIDA ; il est sorti au moment où la mala­die com­men­çait d’émerger et je consi­dé­rais qu’il était de mon devoir d’aborder ce pro­blème. Mais ces livres n’ont eu de per­ti­nence qu’au moment de leur paru­tion, et sont aujourd’hui périmés.

Vous disiez que votre ima­gi­na­tion était très fer­tile ; est-ce à dire que vous avez la plume facile et pro­li­fique ?
Non, pas du tout ! Il est vrai que je ne manque pas d’idées de romans ou de nou­velles — j’en aurais même trop, à tel point que je doute d’être en mesure, phy­si­que­ment s’entend, de trans­for­mer toute cette matière en récits ! En fait, je mène une vie double : à côté d’une exis­tence pra­tique, com­mune à tout un cha­cun, je vis conti­nuel­le­ment dans l’imaginaire, des his­toires naissent sans cesse dans ma tête et j’ai des car­nets entiers rem­plis de notes — “idée de roman”, “idée de nou­velle”… Mais l’idée en elle-même n’est rien ; une fois for­mu­lée, il faut tra­vailler — et ce tra­vail de fabri­ca­tion, de mise en oeuvre me pas­sionne au plus haut point : bâtir des per­son­nages, éla­bo­rer la struc­ture de l’histoire, mettre en place les dia­logues… C’est cette “machi­ne­rie” qui m’intéresse, et je pense que c’est cela qui me per­met d’avoir un regard per­ti­nent sur les œuvres d’autrui et fait de moi un bon cri­tique.
Tout cela pour dire que je n’écris pas sous l’emprise de l’exaltation ; le pre­mier jet est d’ailleurs exces­si­ve­ment dou­lou­reux et je ne sau­rais trou­ver meilleure com­pa­rai­son qu’une expul­sion de vis­cères. Ce n’est qu’au stade des relec­tures, des cor­rec­tions de détails que le tra­vail devient non seule­ment inté­res­sant mais jouis­sif. Mais com­men­cer un roman ou une nou­velle tient de la tor­ture. Et il y a un cap très dif­fi­cile à pas­ser avant que la tâche devienne vrai­ment plai­sante. En tout cas, je ne me défi­ni­rais pas comme un auteur “ins­piré” : j’ai peut-être beau­coup d’idées mais je ne dirais pas pour autant que les Muses des­cendent me visi­ter le soir pour me com­bler de leurs bienfaits !

Lorsque, après le pre­mier jet, vous enta­mez ce tra­vail de révi­sion, avez-vous le sen­ti­ment de vous dédou­bler, de rede­ve­nir le cri­tique que vous êtes par ailleurs — avec, peut-être, un regard struc­tu­ra­liste ?
Le cri­tique inter­vient bien après ; le tra­vail de révi­sion appar­tient encore au temps de l’écriture. Un déchi­re­ment exal­tant, parce que je sais que je vais écrire des choses qui un jour vont me reve­nir dans la figure. Depuis quelque temps, j’écris des choses pré­mo­ni­toires — la vie me met régu­liè­re­ment dans des situa­tions que j’ai décrites aupa­ra­vant dans mes romans. Je suis sûr que ces choses sont déjà prêtes en moi, depuis long­temps, et qu’il y a des rai­sons pour qu’elles se mani­festent à tel ou tel moment. Et il me semble tou­jours que ce que je dis dans mes livres sera d’une façon ou d’une autre confirmé par la vie.

C’est plu­tôt angois­sant, non ?
Oui, très angois­sant, mais béné­fique. J’ai expé­ri­menté ce phé­no­mène de pré­mo­ni­tion avec La Gare des faux départs : trois mois après avoir écrit le livre, j’ai effec­ti­ve­ment connu ce que j’y avais ima­giné — la rup­ture, le cha­grin d’amour… La même chose s’est pro­duite avec Véréna et les hommes. Et main­te­nant que je viens de ter­mi­ner ma pièce de théâtre, je dois avouer que j’ai peur : il y est ques­tion d’un per­son­nage qui se sui­cide. Mais ce sui­cide est peut-être à entendre au sens figuré, si je puis dire ; comme un signe m’avertissant que j’en ai fini avec la période assez longue de ma vie pri­vée à laquelle se réfère la pièce. D’ailleurs, quand j’en ai parlé à la per­sonne qui est liée à cette période, elle m’a dit qu’elle ne se sen­tait nul­le­ment sui­ci­daire — et là-dessus, on a ri. Comme quoi j’ai tout de même des amis qui com­prennent l’écrivain ; ils mesurent ce que le tra­vail d’écriture sup­pose comme mise à dis­tance et savent se situer au niveau de la créa­tion lit­té­raire…
Je n’ai ce sen­ti­ment d’écrire des choses pré­mo­ni­toires qu’avec les romans, pas avec les nou­velles. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit tou­jours de situa­tions et de per­son­nages ima­gi­naires, mais quand j’écris une nou­velle, je demeure assez exté­rieur à ce que je raconte. Tan­dis qu’il y a tou­jours un moment où le roman va me rat­tra­per, c’est-à-dire qu’il va m’imposer des choses, comme de mettre en scène des per­son­nages dont, au pre­mier abord, je me demande ce qu’ils font là — je ne com­prends pas bien leur pré­sence. Puis, ensuite, je réa­lise qu’ils sont venus m’avertir…
Comme je vous le disais tout à l’heure, je vis en per­ma­nence dans le rêve, et dans une soli­tude où je me sens bien — pas heu­reux mais bien. Hors de cela, ma vie quo­ti­dienne est extrê­me­ment banale, et je crois que j’écris des romans pour dou­bler ma vie, lui don­ner de l’ampleur. Vous vous ren­dez compte de la chance que nous nous don­nons, nous autres roman­ciers ? Nous créons des per­son­nages, des des­ti­nées, des uni­vers, des intrigues… la fic­tion est un for­mi­dable sup­plé­ment à la vie de tous les jours ! D’ailleurs, j’évolue dans la fic­tion pure ; je ne me situe pas du tout dans la lignée de ces écri­vains qui ne parlent que d’eux-mêmes, une sorte de quo­ti­dien pré­ten­tieux… Ils ont beau pré­tendre écrire des romans, je ne par­viens pas à les consi­dé­rer comme des romanciers.

Par­ler de soi est en effet un sujet pro­mis à un épui­se­ment assez rapide…
Oui, mais ça plaît. Il faut être hon­nête et recon­naître que tous ces ouvrages qui relèvent de la confes­sion, de la confi­dence, attirent beau­coup de lec­teurs parce qu’ils ont l’impression qu’on leur parle d’eux. Mais il y aura tou­jours quelque chose de fac­tice dans ces livres-là : quand on choi­sit de par­ler de soi, on ne dit jamais toute la vérité, on se montre tel qu’on a envie d’être perçu, on se réha­bi­lite. En défi­ni­tive, il y a tri­che­rie. Et par­ler de soi de cette façon ne m’intéresse pas — bien sûr, je sais par­fai­te­ment qu’écrire un roman, une nou­velle, ça revient à par­ler de soi, mais je n’ai jamais en tête le pro­jet de racon­ter ma vie quand je me lance dans la rédac­tion d’un récit — et s’il advient qu’à tra­vers ce tra­vail je sois averti de quelque chose, ou que des élé­ments de ma vie me deviennent com­pré­hen­sibles, ce n’est qu’une consé­quence for­tuite. De toute façon, je n’écris jamais à pro­pos d’un évé­ne­ment que je suis en train de vivre, ça m’est impos­sible. Mais lorsque le temps a passé, que l’événement en ques­tion — par exemple un grand amour — est ter­miné, l’écriture devient pos­sible. Je pense que mon écri­ture repose sur l’effort qu’il faut four­nir pour rani­mer des choses mortes, et les rendre vivantes par le texte. Cette façon de pro­cé­der s’apparente à ce qu’a fait Proust — un écri­vain que j’admire profondément.

Votre tra­vail d’écrivain est donc une sorte de recherche per­ma­nente du temps perdu ?
Oui, on peut dire les choses ainsi. De mon point de vue, il n’y a pas écri­ture dans le simple fait de rela­ter des choses que l’on vit. Le tra­vail d’écriture gît dans l’effort que l’on accom­plit pour recher­cher puis res­ti­tuer des choses dis­pa­rues, révo­lues — c’est une tâche énorme, mais en dehors de laquelle, je le répète, il n’y a pas vrai­ment écri­ture. Cette res­ti­tu­tion par l’écrit n’est pos­sible que dans la dis­tance ; c’est ce que je ne cesse de dire aux gens qui m’envoient des manus­crits : pour “écrire”, il ne suf­fit pas de racon­ter du vivant.
Je vais vous citer un exemple per­son­nel : les amours que j’ai vécues à 20 ans. Je sais intel­lec­tuel­le­ment — puisque l’être humain est doté de cette chose épou­van­table qu’on appelle la mémoire - que c’est mort et en même temps que cela repré­sente des moments d’une impor­tance incom­men­su­rable : quand je les vivais, il n’y avait que cela qui comp­tait, les sen­ti­ments de l’un envers l’autre, l’attente, la souf­france, l’odeur de l’autre, le bon­heur d’être ensemble… C’étaient des émo­tions d’une force extra­or­di­naire, qui pre­naient une ampleur ter­rible. Mais c’est fané désor­mais ; les émo­tions sont mortes. Et écrire tout cela sup­pose un tra­vail non seule­ment de remé­mo­ra­tion de ce qu’on a vécu mais aussi une recherche pour res­ti­tuer au mieux, par les mots, le tissu de ces sen­sa­tions que l’on a éprou­vées. Là inter­vient le souci du mot, de la phrase justes qui vont recréer une lumière, un par­fum, un état d’esprit… et grâce aux­quels le lec­teur aura vrai­ment l’impression d’être au cœur d’un moment intense et émo­tion­nel. Il n’y a pas de “recette” pour écrire une phrase juste — la “bonne” phrase demeure un mys­tère de l’écriture : il y a des phrases com­plexes et construites avec tout l’art pos­sible qui ne com­mu­niquent rien, et des phrases toutes simples qui vous offrent l’univers ! Je pense que la dif­fé­rence tient à cette éner­gie par­ti­cu­lière issue de ce que j’appellerais la résur­rec­tion, la recréa­tion. Une vérité qui n’a plus rien à voir avec l’ancienne réa­lité.
Ce tra­vail de résur­rec­tion est extrê­me­ment exi­geant, et quand je m’y consacre, je vis dans un temps mort ; c’est-à-dire qu’en dehors des évé­ne­ments cou­rants — sor­tir, dîner avec des amis… etc. — il ne se passe rien d’important dans ma vie. Et puis c’est une phase où je parle peu : je n’aime pas par­ler de ce que je suis en train d’écrire, et encore moins le mon­trer. Il y a des gens qui donnent à lire leurs textes dès qu’ils ont écrit trois pages, moi non. Ce n’est pas par scru­pule de mon­trer quelque chose que j’estime inachevé, je pense sim­ple­ment que per­sonne ne peut com­prendre ce tra­vail en cours. Et puis il m’arrive de res­ter des mois sans rien faire…

Un peu comme une terre qu’on laisse en jachère afin qu’elle se régé­nère ?
Oui, exac­te­ment. Ça ne veut pas dire que je suis inac­tif, mais c’est une action incons­ciente. En géné­ral, je me pro­mène beau­coup, et au cours de ces pro­me­nades, j’emmagasine des choses — vues, pen­sées, ima­gi­nées, vécues… mais je n’écris pas, je ne tiens pas de jour­nal et je ne m’efforce pas non plus de gar­der une trace écrite de quelque chose d’intéressant qui se serait pro­duit pen­dant la jour­née. Si par exemple j’ai res­senti une émo­tion pro­fonde en écou­tant un mor­ceau de musique, je ne vais pas essayer de la trans­crire : je sais que si elle est impor­tante et qu’elle doit être utile dans un roman ou une nou­velle, elle res­sur­gira au moment oppor­tun, modi­fiée alors par ce tra­vail de recréa­tion dont je viens de par­ler.
Pen­dant ces périodes de non-écriture — qui peuvent durer des mois et des mois (je suis très flem­mard…) — je me borne à des nota­tions réduites au mini­mum : une “idée”, un “thème” décrits en deux mots et c’est tout. Je n’ai pas à lut­ter contre une impul­sion qui me pous­se­rait à noir­cir des pages de notes sur le moment, c’est juste une ques­tion de flemme ! et puis ça me gâche­rait le plai­sir de mes pro­me­nades si je m’astreignais à noter ce que j’ai vu ou res­senti !
Il m’est arrivé de res­ter pen­dant un an sans écrire une ligne… Et puis un beau matin, c’est prêt — je veux dire que je suis dans un état phy­sique très par­ti­cu­lier et que les élé­ments essen­tiels du roman, ou de la nou­velle, sont là, dis­po­nibles, prêts à être écrits… Alors, je n’ai plus qu’à m’installer devant mon ordi­na­teur ; s’ensuivent trois ou quatre heures quo­ti­diennes d’un tra­vail haras­sant, dou­lou­reux, mais authentique.

C’est une sorte de révé­la­tion, ce moment où vous vous sen­tez prêt à écrire ?
Ce n’est pas une révé­la­tion ; sim­ple­ment je sais à l’intérieur de moi que tout est struc­turé, que j’ai com­pris com­ment je dois dis­po­ser l’intrigue pour aller au-delà du simple fait de raconter.

Êtes-vous un écri­vain métho­dique ?
Non, pas métho­dique… je me com­pa­re­rais plu­tôt à un médium : j’ai avec ma mémoire un rap­port ana­logue à celui qu’entretiennent les médiums avec les esprits des morts. Pen­dant mes périodes d’oisiveté j’emmagasine énor­mé­ment de choses — je ne sais ni ce qu’elles sont ni où elles me mènent exac­te­ment mais elles sont là. Puis quand j’entre en phase d’écriture, j’effectue, presque incons­ciem­ment, un tri et un tra­vail de mise en ordre — là, en effet, je pro­cède avec méthode. Un roman n’est pas une pho­to­gra­phie du réel… mais sa transfiguration.

Mais la réa­lité elle-même est un tri per­ma­nent : on sélec­tionne sans cesse et sans s’en rendre compte parmi la foule d’informations que l’on per­çoit en même temps…
C’est jus­te­ment pour cela qu’il me faut res­ter long­temps sans écrire : c’est pen­dant ces périodes de non-écriture que les choses s’ordonnent, se décantent. Parmi tous les élé­ments que j’ai pu gla­ner seuls ceux dont j’ai besoin pour le roman auquel je tra­vaille vont resur­gir tan­dis que d’autres seront éli­mi­nés à jamais. L’imagination n’est que la sélec­tion hyper­tro­phiée d’une forme de réalité.

A suivre…

   
 

Pro­pos recueillis par isa­belle roche  le 11 juillet 2005 au domi­cile de l’auteur.

 
     

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