“Je ne veux pas atteindre l’immortalité grâce à mon œuvre, mais en ne mourant pas.” (W. Allen)
Comme le précise le sous-titre ici, l’oeuvre qui nous est soumise est moins une biographie parmi d’autres – dont certaines plus imposantes et nourries – qu’une sorte de levier archimédien destiné à nous faire entrer sans coup férir dans la filmographie de l’irrésistible et égotique Woody Allen (à qui l’on doit, parmi une bonne cinquantaine de titres, entre autres, des pépites du 7e art telles que Annie Hall, 1977, Manhattan, 1979, Zélig, 1983, La Rose Pourpre du Caire, 1985, Ombres et brouillard, 1992, Celebrity, 1998, Match Point, 2005, Scoop, 2006, Whatever Works, 2009, Minuit à Paris, 2011, L’homme irrationnel, 2015) . C’est donc sous l’angle assumé du cynisme que l’auteur, Ava Cahen, entend nous présenter ce qui motive l’ensemble de la production pléthorique en diable de l’éternel octogénaire au chapeau mou et aux lunettes épaisses ayant quasiment réalisé un film par an depuis les années 70.
Suivant un fil chronologique, les films s’enchaînent ainsi les uns aux autres, comme autant de perles sur le chapelet d’un cinéphile patenté, tout en mettant en lumière, citations de Allen à l’appui, à la fois sa vie et ses motivations artistiques : mais si cet axe double se lit avec plaisir (il est agréable de retrouver ainsi condensée la veine de l’esprit allénien), en revanche il n’en va pas de même pour le postulat d’Ava Cahen selon lequel le cynisme serait le maître-mot et la clef de voûte de toute l’oeuvre du cinéaste.
Non pas tant que l’appellation ou la posture de cynique ne permette pas de scruter avec acuité les films proposés par l’autodidacte Allen, s’inspirant continûment des ses lectures littéraires comme philosophiques pour alimenter sa réflexion sur le genre humain dans tous ses films, notamment sur le hasard, le sexe et la mort (le concept paraît souvent opérant) , mais c’est la façon dont l’auteure la présente qui fait difficulté : loin d’une argumentation en bonne et due forme – qui s’appuierait par exemple sur une analyse profondeur de tel plan séquence, telle scène ou tel opus en particulier –, Cahen se contente de projeter à intervalles réguliers en contrepoint à chaque film présenté , en les plaquant sans fioritures à la façon d’un « dixit » valant comme inamovible principe d’autorité (soit un renvoi anti-philosophique), des citations empruntées pour l’essentiel à Michel Onfray et Peter Sloterdijk. Celles-ci, plus imposées qu’exposées acquièrent, ce faisant, une résonance plus arbitraire que fondée : au lecteur, seul, alors de déterminer la pertinence ou non du rapprochement mis en exergue sans autre procédé de justification.
Exception faite de la notion récurrente de “bovarysme” qui,elle, est plutôt bien explicitée tout du long, on a l’impression de lire un travail de recherche cinématographique universitaire saupoudré de quelques paillettes philosophiques mais l’on reste alors sur sa faim exégétique.
C’est d’autant plus dommage que ce Woody Allen — Profession : cynique se lit avec plaisir, agrémenté qu’il est de nombreux aphorismes alléniens qui font mouche et qui sont tous intégrés avec pertinence aux divers films du réalisateur. Disons pour finir que celui qui aspire à trouver en ces pages un vade-mecum des films du grand mélancolique Woody trouvera là certes de quoi en avoir un aperçu synoptique de bon aloi, auquel nous semble toutefois faire défaut une lecture plus en profondeur du sous-texte filmique afférent à chaque long métrage.
frederic grolleau
Ava Cahen, Woody Allen — Profession : cynique, L’Archipel, novembre 2015, 18,95 €.