Les dessins et gravures d’Alison Bignon ouvre aux plaisirs de songes. Et ce, avant même qu’ils se lèvent ou après qu’ils se soient tus. A coups d’incision, de griffures, de lambeaux de couleurs surgissent l’immense et l’intime, le ferme et le fluctuant, le furtif et l’évident. Couleurs acidulées, fins tracés ; faufilés de cousette : tout devient frontière fragile. Les fragments de présences, la sophistication du minimalisme créent un maillage et un charivari.
Le passage par la Corée a permis à la créatrice de se mettre encore plus en harmonie avec le raffinement subtil dont ses œuvres témoignent. Ses thématiques foncières ont gagné en élégance incarnée dans une fugacité cyprine : dessus, dessous, côtés sont soufflés d’une mouvance contagieuse. Alison Bignon « sonorise » l’air et les éléments qu’elle déconstruit. Ils sont empreints d’une énergie légère et d’une poésie chorégraphiée par une technique plastique délicate propre à suggérer bien des vertiges.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La peur que le temps file, et qu’il ne m’en reste plus assez pour faire ce que j’ai à faire.
Que sont devenus vos rêves d’enfants ?
Ils sont toujours là. ils font même pour certains partie de mon quotidien maintenant. Et heureusement j’ai aussi des rêves de grande.
A quoi avez-vous renoncé ?
A être ce qu’on attendait de moi.
D’où venez-vous ?
Fille de boulangers. métissage noir / blanc . Famille de fantaisistes avec la tête sur les épaules.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
La valeur du travail et l’intégrité.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Le plaisir du mercredi, faire des pâtisseries avec mon père, et chanter du Balavoine ( il nous arrive même de danser en fait ).
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
J’admire les artistes parce qu’ils ont toujours l’air de savoir qui ils sont. Moi je suis un artisan, ma presse c’est mon laminoir.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
« Agrigente » de De stael, j’ai pleuré devant à 8 ans. Et je suis toujours autant émue maintenant. C’est peut être ça, l’expérience de l’oeuvre d’art ?
Et votre première lecture ?
Tout Roald Dahl. Parce que tout pouvait devenir vrai, pour peu qu’on y croie.
Vous définiriez vous comme artiste féministe ?
Artiste tout court
Quelles musiques écoutez-vous ?
La chanson française populaire, je la partage avec mes deux grands copains Camille Moravia et Laurent Quenehen. L’ opéra avec mon grand père, on n’en parle pas, on s’aime à travers ça. Le jazz, c’est le truc qui me donne envie de travailler tout de suite.
Que livre ailez-vous relire ?
Tout Faulkner, parce que je l’aime, et qu’à la fin de ma vie, j’aurai toujours pas tout compris.
Quel film vous fait pleurer ?
« Virgin suicides » de S. Coppola. Je suis restée bloquée à l’adolescence.
Lorsque vous vous regardez dans votre miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’un de flexible.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A Peter Brook, le magicien de l’esprit. J’ai vu « le costume » et je voulais lui dire tout, tout, tout mais c’était une lettre avec trop de tout, je n’ai pas osé la poster. ( je l’ai gardée, j’avais 16 ans )
Quel lieu a valeur de mythe pour vous ? La Nouvelle Orléans. J’y ai jamais mis les pieds mais j’en ai une idée bien précise dans la tête. Un bon cliché qui fait rêver.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous senytez proche ?
Marguerite Duras, Isadora Duncan, Louise Bourgeois, Sylvia Plath, Brecht, Koltès, Carole Fréchette, Barbara, Camille Moravia, Emily Brontë, Sally Mann, Carson Mc Cullers, Emily Dickinson, Toni Morrison, Cécile Reims. Juste je les aime, avec beaucoup de respect.
Que voudriez vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un billet d’avion
Que défendez-vous ?
Les petites histoires à l’intérieur de la grande.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas
”?
C’est chiant comme phrase.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?” Je préfère le oui au non, de toutes façon.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 20 mars 2016.