Le romantisme et la béance oculaire du paysage
Le livre de Jacques Replat (né en 1807 à Chambéry et mort à Annecy en 1866) est à la fois une découverte et un délice. Il rappelle moins Le voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre que les Rêveries de Rousseau. L’origine du Voyage de l’auteur provient d’une idée presque surréaliste : se rendre sur les plus hautes montagnes en traversant le lac pour « épouser » leurs cimes par le miroir de l’eau… Preuve qu’un paysage n’existe que s’il retourne la vue, interroge le regard qui est censé le voir. De l’œil au regard,Jacques Replat instruit donc un glissement : il fissure énigmatiquement les certitudes acquises de la contemplation fétichiste ou de la possession carnassière des images.
L’ auteur épouse les « conversions » de Rousseau : sa « morale » reste la sélection d’un mode de regard. A contempler les grands tableaux du paysage sur le plan du lac, s’ouvre le sentiment de la présence de celui-là. La nature dans ses bizarreries et ses différences se dédouble. Elle semble venir au devant de nous du royaume d’un irréel telle une baudruche qui se gonfle . Toutefois, la méditation se double d’une modernité (pour l’époque) puisque l’on en trouve une sur les « Railways » même si l’auteur précise : « je confesse qu’elle est amèrement critiquée par la caisse sociale et les bourgeois très sérieux ».
Mais Jacques Replat sut découvrir aussi dans le massif des Bauges « les mystères des forêts vierges ». Les reflets lumineux font le jeu de l’entrebâillement existentiel. La vie semble à l’affût : se trouve impliqué le cycle biologique et tectonique. Celui-ci nous regarde du fond des âges, là où l’auteur se fait passeur d’âmes et montre que ce qui n’est pas la Vanité ne s’inscrit jamais dans le paysage. Existe chez un tel auteur un romantisme digne des plus grands auteurs par concentration poétique et ouverture paradoxale du champ.
jean-paul gavard-perret
Jacques Replat, Voyages au long cours sur le lac d’Annecy précédé d’Une Ascension au Semnoz, Notes et postface de Rémy Mogenet, Editons Livres du Monde, Annecy, 2016, 168 p. — 16,00 €
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