Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Je me lève plutôt vers midi quand je suis rassasiée de sommeil. Je me lève comme tout le monde quand la vie, l’autre m’appelle, car même si l’écriture est une activité solitaire ça ne se fait pas sans un autre.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Il me semble que je suis toujours engloutie dans une bulle atmosphérique ou dans une caverne sous la mer dans mes rêves d’enfant.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé à la danse, plutôt on m’a forcé à y renoncer, mais en fait c’est un demi-renoncement ou une mutation de la danse en d’autres formes d’art, mais fondamentalement c’est la même chose. Il y a beaucoup de corps dans mon écriture.
D’où venez-vous ?
Je viens de la mort comme tous les êtres vivants à la naissance, du néant ou de l’inconnu, au choix… Mon père était une sorte d’ogre terrifiant avec une voix de basse énorme d’acteur de théâtre. Ma mère était très nerveuse et n’arrêtait pas de postillonner en parlant comme une harpie mythologique ou une chauve-souris, elle était couturière et elle me faisait les robes que je lui dessinais, d’où mon goût pour les tenues extravagantes et chamarrées. Ma grand-mère était analphabète et immigrée espagnole, elle s’était formé un langage à elle en mixant le français et l’espagnol et seuls quelques proches initiés arrivaient à la comprendre. C’est peut-être elle qui m’a fait cette révélation étrange qu’être écrivain relève d’une forme d’illettrisme car cela consiste à inventer son propre langage, au risque d’être incompris. Mon grand-père est mort quand j’avais cinq ans, c’est ainsi que j’ai inventé ma propre croyance, une forme d’animisme dans un foisonnement imaginaire, pour remplir le vide de l’athéisme de mon entourage.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’imagination et la créativité car j’ai été volée à ma naissance.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Une sieste sur une planche à clous de fakir après une douche froide.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
L’invention de mon propre langage, le syncrétisme de mon univers, j’entremêle des inspirations très disparates et éloignées dans l’espace et dans le temps, mon écriture archaïque et contemporaine, mes thèmes, la folie, les rêves, une forme de pensée magique.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Le ciel étoilé à cinq ans que j’ai immédiatement interprété comme une preuve de l’infini et de l’immortalité.
Et votre première lecture ?
Arthur Rimbaud, il a été décisif dans mon existence, il est devenu pour moi « … la Grande-Ourse. Mes étoiles au ciel… », mon premier guide.
Pourquoi votre attirance pour le “théâtre poétique” ?
C’est un malentendu, je ne parle pas de « théâtre poétique » mais de théâtre et de poésie, c’est-à-dire que je confonds, j’entremêle les deux formes du théâtre et de la poésie. Cette appellation « Théâtre Poésie » vient premièrement du fait que je suis rentrée dans l’écriture par la porte de la poésie qui correspond à une façon de tordre la langue et de l’halluciner, et deuxièmement parce que les auteurs de théâtre dans l’antiquité étaient des poètes. Les formes d’écritures les plus archaïques sont celles qui me touchent le plus, poésie pure à mon oreille.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’ai des goûts éclectiques, j’aime la musique contemporaine et les musiques traditionnelles du monde, de la Chine, du Japon. Je me suis longtemps réveillée avec le prélude de Tristan et Isolde de Richard Wagner, qui est comme un empoisonnement, la circulation lente d’un poison dans le sang comme l’a si bien exprimé Olivier Py. J’ai beaucoup aimé Baschung, sa poésie. J’ai découvert récemment Erol Josué qui est un chanteur, un danseur Haïtien et un houngan, c’est-à-dire un prêtre Vaudou, sa musique, ses chants sont oniriques et inspirés ( rien à voir avec les film stupidifiants des zombies américains).
Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’aime relire beaucoup de livres. Par exemple, Héliogabale ou l’Anarchiste Couronné de Antonin Artaud, l’infini turbulent de Henri Michaux, Ulysse ou Finnegan’s Wake de James Joyce ouvert au hasard comme un livre d’oracle.
Quel film vous fait pleurer ?
N’importe quel film sentimental peut me faire pleurer, les larmes sont des ficelles, il suffit de savoir les tirer, donc je ne regarde pas ce genre de film. S’il faut décerner un prix aux larmes, alors je choisis celles de Falconetti dans La passion de Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer avec bien sûr Antonin Artaud.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je vois ce qui se reflète et que je n’entends pas, l’écho d’une voix, la nymphe et Narcisse, le poisson au fond de l’eau, la narcose de ma propre image qui n’a pas toujours le même visage. Les reflets dans les miroirs qui s’emboîtent sont labyrinthiques.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai jamais osé écrire à personne ou presque, c’est pour cela que j’écris au monde ! Quand j’étais enfant, j’écrivais des lettres de vacances à mes amis mais je ne les envoyais jamais, car quand je les relisais je les trouvais tellement étranges… comme si ce n’était pas moi qui les avais écrites… Je ressentais ma parole comme pouvant provoquer une catastrophe, une implosion qui se répercuterait au dehors. C’est d’ailleurs ainsi que commence ma pièce James Joyce Fuit… Un jour de transgression, j’ai envoyé une lettre à un amoureux, déchirée en mille morceaux dans une enveloppe, j’ai couru la jeter à toute vitesse dans la boîte aux lettres et après j’étais morte de honte… finalement il a été séduit, mais quelle angoisse !
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le Mont Olympe.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Je me sens proche des artistes et écrivains que j’aime, les plus lointains sont souvent les plus proches comme les tragiques grecs. Arthur Rimbaud est mon premier guide, Antonin Artaud est rentré dans la chair de mes rêves, je me suis mariée avec lui. Erol Josué, la transe qui émane de sa présence et de sa voix circule partout comme l’eau pour faire tourbillonner dans la tête les esprits des rêves éveillés, dans un de ses concerts, j’ai ressenti puissamment la présence du poète Lautréamont, j’étais persuadée qu’il était là…
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Quelque chose qui ressemblerait à un château en Espagne, un théâtre…
Que défendez-vous ?
Je défends la folie dans l’art, quelque chose de similaire à “la magie de vivre” exprimée par Antonin Artaud, un chemin initiatique, une percée dans l’imaginaire, et davantage, dans plusieurs strates de réalités car c’est insupportable de ne voir la réalité que dans un matérialisme et dans un rationalisme expirants et dés-inspirants
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cette phrase énigmatique m’avait déjà interpellée, j’avais donc cherché sa signification, en fait ça veut dire qu’aimer c’est donner son manque… dire « Tu me manques… » pour l’autre, le «quelqu’un », cela revient à hériter d’une dette… forcément il n’en veut pas ! Mais ce qui m’avait inspiréz dans cette phrase, c’était sa formulation énigmatique qui ouvrait la voie au fantasme et à l’impossible du réel Lacanien, à la magie, la télépathie, la psychose de l’amour. Le charme de l’amour est peut-être un piège similaire au chant des sirènes, derrière lequel se cache le monstre. Et il ne faut pas oublier que l’énigme sort de la bouche du sphinx dévorateur.
Que pensez-vous de celle de Woody Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Le renversement de la réponse et de la question, ça ressemble au non-sens de Lewis Carroll, comme crier avant de se piquer, être puni avant d’être fautif, servir avant de partager etc…
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Pourquoi j’écris ? mais j’ai déjà répondu.
Entretien réalisé par Jean-Paul Gavard-Perret pour lelitteraire.com, le 15 mars 2016.