Parce que la vie ressemble parfois à du Shakespeare, Catherine Gil Alcala revendique une écriture pulsionnelle. Elle met en exergue le gain d’une « dépense » particulière par la fabrication de pièces hirsutes où l’auteur « ralentit et accélère au même moment ». D’où la folie d’un processus : le temps n’existe plus vraiment et le théâtre se transforme en poésie présente.
Dégagés de leur valeur d’usage, les mots comme les personnages (le singe, le fakir, Méphisto, Miller, Michaux, Jack l’éventreur, etc ) se retrouvent avec des fonctionnalités plus secrètes. Le poésie devient le seul moyen de les faire glisser de l’ombre à la lumière en des assemblages exogènes. Les règles sont triturées, les formes manipulées, les techniques et usages détournés. Corps, intimité, genre sont reconsidérés par un travail de dérision mais aussi d’invocation. Tout devient autant en fusion qu’en imposition : le Léthé et le Styx se mêlent en une prose poétique qui cultive le paradoxe : « les enfers intérieurs égarent l’être d’un doute invincible ». La peau devient sable, les fileuses des ours. Existe une suite d’exercices de monstruosité. Ils emportent le lecteur là où se « fabriquent des sortilèges avec un peu de jus de mille étoiles d’Orion ».
On pense parfois à Arrabal ou au théâtre surréaliste, puisque les pièces sont avant tout des sortilèges de mots aux seins culbuto, aux ou faux cils hameçons. ils font de Catherine Gil Alcala une irrégulière de l’art. Elle trouve magnifique l’idée que d’un seul geste, le monde se mette en branle. En conséquence chaque pièce est elle-même « la » geste qui embrasse tout : le sexe, les fleurs, le temps, les miroirs et ce qu’il y a derrière.
Qu’importe si « les chapeliers fous » rêvent d’enfermer la dramaturge dans un asile. En son théâtre, elle devient pièce elle-même. Elle regarde ceux qui sont entrain de la regarder et leur fait entendre, entre farce et tragédie, les cris de turpitude du monde tout en revisitant les légendes dont les héros se retrouvent plus ou moins décatis. La créatrice est aussi tous ses personnages. Mais avant tout la Nouvelle reine, la Géante au nez de catin. Elle fait ingurgiter aux hommes l’huile de ricin de sa prose indomptable pour scénariser les hallucinations qu’ils n’osent penser comme leurs rêves maniaques.
jean-paul gavard-perret
Catherine Gil Alcala, La tragédie de l’Âne & James Joyce fuit… , Editions la Maison Brûlée, Saint Maurice Saint Germain, 2016, 16,00 € et 13,00 €.