M. Şükrü Hanioğlu, Atatürk

Le père enterré de la Tur­quie du XXe siècle

Depuis 2002, la Tur­quie est gou­ver­née par un parti isla­miste qui pro­meut une poli­tique de néo-ottomanisme qui bou­le­verse la géo­po­li­tique du Moyen Orient. L’héritage de Mus­tafa Kémal semble bel et bien enterré. Rai­son de plus pour en connaître les carac­té­ris­tiques, ce que nous per­met de faire la bio­gra­phie intel­lec­tuelle que lui consacre M. Şükrü Hanioğlu.
Intel­lec­tuelle car il s’agit d’une ana­lyse plus thé­ma­tique que chro­no­lo­gique du par­cours de Kémal. Son enfance à Salo­nique, ville cos­mo­po­lite et euro­péenne, proche de cette Macé­doine qui compta beau­coup dans le natio­na­lisme des offi­ciers turcs, est ana­ly­sée à tra­vers le prisme de la future idéo­lo­gie du père de la Tur­quie moderne.

Natio­na­liste, Kemal l’a été c’est évident. On le voit à tra­vers son exal­ta­tion de la nation et même de la race turque, cen­sée avoir été à l’origine civi­li­sa­tion­nelle de l’Europe. Mais il fut avant tout un moder­niste, un scien­tiste, un occi­den­ta­liste qui vou­lut, à l’instar des diri­geants japo­nais, enga­ger son pays dans une entre­prise de moder­ni­sa­tion qui pas­sait par une occi­den­ta­li­sa­tion.
L’auteur consacre beau­coup de pages à ana­ly­ser la pen­sée kéma­liste et sur­tout son rap­port à la reli­gion. Son hos­ti­lité à l’islam est radi­cale. Il le décrit comme la reli­gion des Arabes, donc une accul­tu­ra­tion qui n’a pas pro­fité aux Turcs, brillants bien avant leur conver­sion. De plus, la reli­gion lui appa­raît comme un obs­tacle au pro­grès qu’il faut jeter « au fond des mers ». Aussi faut-il la contrô­ler et la turcifier.

En fait, Kémal, tel que le décrit M. Şükrü Hanioğlu, consi­dère que la cri­tique de la reli­gion doit être lais­sée aux élites pour les­quelles il ne doit exis­ter qu’un seul guide, la science, et il s’inspire, sans le reven­di­quer tou­te­fois, de la réforme pro­tes­tante qui pri­va­tise et natio­na­lise la foi. Il est, c’est évident, un fils des Lumières et de Rous­seau.
Ce livre très clair décrit un monde dis­paru, celui du XXe siècle, où l’Europe des Lumières consti­tue un modèle que les diri­geants du monde rêvent d’implanter dans leur société pour les por­ter vers le haut. Bref, la préhistoire…

fre­de­ric le moal

M. Şükrü Hanioğlu, Atatürk, Fayard, jan­vier 2016, 277 p. — 20,00 €.

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