Lise Sarfati, She & Oh Man

Présence et absence

Fasci­née par les espaces vides comme par la vie cita­dine « middle class », Lise Sar­fati laisse tou­jours une dis­tance entre la « chose vue » et son trai­te­ment. Si bien que ses oeuvres échappent à toute récu­pé­ra­tion idéo­lo­gique : la recherche y est per­son­nelle, intime. Que les lieux soit déla­brés, vides ou urbains ce sont tou­jours les lieux où les gens vivent. La pho­to­graphe voit en ceux-ci des sem­blables, des « mêmes ». Dans un tra­vail autant de réflexion que de réac­tion ins­tinc­tive, l’artiste se dégage du poids de l’histoire et découvre un espace libre et presque abs­trait. L’artiste y tra­vaille sur l’idée du vide,  l’existence et le jeu que pro­duit le corps face à des formes d’absences.
Lise Sar­fati sai­sit des gens au fil de ren­contres et « invente » ses nar­ra­tions en fonc­tion de leur dis­po­ni­bi­lité. Elle tra­vaille à l’instinct pour sai­sir les émo­tions que les êtres sus­citent par leur quo­ti­dien, loin de toute mise en scène pour atteindre quelque chose de vrai mais qui n’appartient pas à l’artiste. Cette approche crée le mys­tère de pho­to­gra­phies où l’esthétique, par son mini­ma­lisme, n’a rien d’esthétisante. Le regard et l’émotion y demeurent — par­tiel­le­ment — libres comme si la créa­trice ne leur offrait que des pistes dans un uni­vers flottant.

Lise Sar­fati fait par exemple por­ter les vête­ments de luxe par des filles ren­con­trées dans Aus­tin. Tenues qui entrent en contra­dic­tion avec ces modèles d’un nou­veau style. De cette oppo­si­tion sont nées des pho­to­gra­phies géniales qui rap­prochent l’artiste d’une Cindy Sher­man même si son tra­vail par ailleurs l’en éloigne ; Sher­man aime le tra­ves­tis­se­ment, Sar­fati le refuse.
La série  She  marque une autre stra­té­gie de nar­ra­tion. Quatre femmes d’une même famille mais qui se voient peu sont pho­to­gra­phiées dans des endroits pré­cis (mai­son down-town, etc.).Les quatre pro­ta­go­nistes sont autant « mêmes » que dis­sem­blables. Cela per­met à l’artiste de créer à la fois un auto­por­trait intime et fami­lial sublimé où la soli­tude devient une récur­rence aussi réelle que poé­tique. On pense alors à une sorte de vision « ciné­ma­to­gra­phique » proche autant de Hop­per que du Mul­hol­land Drive de Lynch.

L’œuvre reste avant tout celle de l’intériorité et une réflexion sur la manière dont un regardeur-voyeur se pro­jette dans une photo. Le mini­ma­lisme et la bana­lité demeurent capi­taux pour com­prendre un uni­vers qui erre entre le docu­men­taire et l’hallucination. Oh Man, une nou­velle fois, le prouve. Le réel, l’humain trop humain est là mais de manière déca­lée, « littéraire ».

jean-paul gavard-perret

Lise Sar­fati,

- Oh Man, CAMERA — Cen­tro Ita­liano per la Foto­gra­fia, Via delle Rosine 18, Turin, 27 jan­vier — 13 mars 2016 

- She, Twin Palms Publi­shers, 2016.

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