Benjamin Black , Les Disparus de Dublin

Benja­min Black, alias John Ban­ville, se met au polar. Décevant

En 2005, John Ban­ville reçoit le Boo­ker Prize pour La Mer (paru en 2007 chez Robert Laf­font), et celui à qui l’on doit des œuvres aussi sophis­ti­quées que Le Livre des aveux ou Éclipse, fait paraître Chris­tine Falls en 2006 (tra­duit sous le titre Les Dis­pa­rus de Dublin chez NiL en 2009), sous le pseu­do­nyme de Ben­ja­min Black. En endos­sant ce nom évo­ca­teur, il s’adonne pour la pre­mière fois au roman policier.

Benja­min Black a créé Quirke, un méde­cin légiste aussi sédui­sant que désa­busé — d’où un net pen­chant pour la bou­teille — qui œuvre dans le Dublin des années 50 et qui se trouve sou­dain confronté à un cadavre sus­pect. Chris­tine Falls est décla­rée morte d’une embo­lie pul­mo­naire, quand il s’avère qu’elle est décé­dée en couches. Pour­quoi Mala­chy, le beau-frère de Quirke, a-t-il cher­ché à dis­si­mu­ler la vérité ? Où est passé l’enfant ? Qui en est le père ?
Autant de ques­tions aux­quelles quelqu’un ne tient pas que Quirke réponde. Mal­gré plu­sieurs ten­ta­tives d’intimidation, le héros per­siste et se heurte à sa famille, à son propre passé et à une église catho­lique aussi puis­sante qu’une mafia.

 Autant le dire d’emblée, Les Dis­pa­rus de Dublin est une décep­tion. Certes l’ambiance hiver­nale n’est pas déplai­sante, don­nant lieu à quelques atmo­sphères plu­vieuses qui amènent le lec­teur à se pelo­ton­ner déli­cieu­se­ment dans son fau­teuil. Par­fois aussi les per­son­nages échangent ici ou là des consi­dé­ra­tions sur l’existence non dépour­vues de saga­cité, comme cette réflexion du per­son­nage de Sarah sur le temps comme “contraire de l’espace : dans l’espace”, explique-t-elle, “plus on s’éloigne, plus tout se brouille. Pour le temps, c’est dif­fé­rent, tout s’éclaire”. (p. 390)
Mais ces élé­ments épars ne suf­fisent pas à construire un roman noir qui réponde effi­ca­ce­ment aux lois du genre. Puisque nous avons com­mencé par l’atmosphère, force est de consta­ter que mis à part son cli­mat humide et quelques topo­nymes, le Dublin des années 50 peine à exis­ter et à trou­ver sa spé­ci­fi­cité face aux sombres cités amé­ri­caines dont le genre a fait ses toiles de fond pri­vi­lé­giées. Le poids de l’église qu’on sup­pose par exemple typique de l’Irlande de ces années-là et qui est censé jouer un rôle déter­mi­nant dans les évé­ne­ments du récit est ainsi insuf­fi­sam­ment rendu, deux ou trois scènes chez les bonnes sœurs et un ou deux curés ne suf­fi­sant pas à faire éprou­ver son emprise étouf­fante sur la société.
On sent l’intention sans en res­sen­tir l’effet.

 Un pro­blème simi­laire se pose avec le per­son­nage de Quirke. Ben­ja­min Black a voulu en faire un être com­plexe, dévoré par un passé dou­lou­reux où il n’a pas joué le beau rôle, mais non dépourvu de charme, ce que ses mul­tiples suc­cès auprès de la gente fémi­nine sont cen­sés témoi­gner.
Là encore, l’alchimie ne fonc­tionne pas. Le lec­teur agacé et indif­fé­rent voit reve­nir les quelques leit­mo­tive des­ti­nés à construire le per­son­nage comme autant de grosses ficelles impuis­santes à lui don­ner une quel­conque vérité. Pire : réduit à des sté­réo­types (désa­bu­se­ment, goût pour l’alcool et le tabac, charme natu­rel…), Quirke en vient à sus­ci­ter l’antipathie, Ben­ja­min Black n’ayant pas réussi à doser effi­ca­ce­ment les contrastes.
Et même si l’heure n’est plus aux che­va­liers irré­pro­chables, l’enquêteur doit être doté de la légi­ti­mité mini­male que lui confère la sym­pa­thie du lec­teur pour mener son enquête.

Enfin, et c’est encore plus gênant, l’intrigue ne tient pas. Non seule­ment on en devine très vite les tenants et les abou­tis­sants, mais on ne voit au fond pas vrai­ment où réside l’énormité des crimes com­mis.
Ben­ja­min Black a sans doute senti le pro­blème puisque l’un des per­son­nages demande à Quirke : “ça ne vous paraît pas si épou­van­table que ça, c’est ça ? (p. 363–364)
Et à la réponse affir­ma­tive du pro­ta­go­niste, la sœur Anselme tente mal­adroi­te­ment de le/nous convaincre du contraire, ce qui suf­fit à démon­trer la fai­blesse du pro­jet : voilà un auteur de polar obligé de prou­ver que le crime autour duquel tourne son livre en est bien un !

John Ban­ville dit avoir choisi de chan­ger de nom pour écrire ce roman, afin de rendre compte d’une tech­nique et d’un pro­ces­sus d’écriture tota­le­ment dif­fé­rents de ceux qui sont à l’œuvre dans ses autres romans. On veut bien le croire, au regard de la grande dif­fé­rence de niveau de l’un et des autres.
Peut-être aurait-il pu aussi ne pas révé­ler que Ben­ja­min Black était John Ban­ville, pour lais­ser l’auteur de polar se défendre par lui-même. Et il y a fort à parier que Black n’aurait pas reçu les éloges dithy­ram­biques qui ont été pro­non­cés à son endroit.
Les Dis­pa­rus de Dublin ayant été conçu comme le pre­mier tome d’une série (dont la tra­duc­tion est en cours), espé­rons que la suite des aven­tures de Quirke per­met­tra à Ben­ja­min Black de méri­ter les com­pli­ments et une atten­tion qu’il doit pour l’instant sur­tout à John Banville.

Lire notre cri­tique de La Dis­pa­ri­tion d’April Latimer

agathe de lastyns

     
 

Ben­ja­min Black , Les Dis­pa­rus de Dublin, tra­duit de l’anglais par Michèle Albarte-Maatsch, Nil, décembre 2009 437 p.- 21,00 €

 

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Filed under On jette !, Pôle noir / Thriller

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