L’agilité mentale de Kristina D’Agostin transparaît dans le travail qu’elle effectue avec Carnet d’Art (revue, maison d’édition et site). Elle plonge le lecteur dans les problématiques politiques et esthétiques du temps. En séduisante prêtresse laïque, elle donne vie à différentes « scènes » qui font bouger les lignes dans l’humour comme dans le sérieux. Farouchement attachée à son indépendance et avec Antoine Guillot, Kristina propose l’entrecroisement de points de vue, un réseau d’images et de modulations de voies et de voix. Elle prouve que la jeunesse a quelque chose de neuf et de pertinent à dire et à montrer au sujet de la comédie humaine, sociale et politique.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Je me lève le matin parce qu’il y a un combat à mener. Cela peut paraître un peu fort au premier abord mais je crois profondément qu’il faut avoir une force, une envie démesurée d’avancer, de créer, de construire des refuges, de ne jamais renoncer.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves d’enfant sont restés à leur place, dans l’enfance. Je ne crois pas aux rêves, j’ai un côté trop terre-à-terre, et ai des expériences de vie qui m’ont fait comprendre qu’il n’était pas si simple que cela de rêver. Je ne parlerais donc pas de rêves mais plutôt d’imaginaire ou d’émerveillement devant des choses simples : la beauté d’un paysage, d’une nuit étoilée ou l’image instantanée d’une tranche de vie.
À quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé à vouloir atteindre un idéal de bonheur inatteignable.
D’où venez-vous ?
Je suis née dans les Alpes et, malgré quelques vaines tentatives de nouveaux horizons, je crois être trop attachée à cette région pour en partir.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
J’ai reçu la force de caractère de mon père et la folie de ma mère, un mélange improbable qui n’est pas toujours facile au quotidien, il est difficile de vivre avec soi-même parfois.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Un des petits plaisirs serait de partager un bon verre de vin, « La caverne de l’âme ».
Qu’est-ce qui vous distingue des autres éditeurs et directeurs de revue ?
Carnet d’Art est un média culturel indépendant fondé en 2013, porté par une quinzaine d’auteurs et rédacteurs permanents qui aspirent à développer un magazine proche de toutes les formes d’expression artistique. Au fil des numéros, nous présentons une libre vision de situations et d’engagements en défendant des approches novatrices et cohérentes sur des enjeux de société, des regards philosophiques, et des parcours personnels, en proposant la rencontre d’artistes du grand sillon alpin.
La maison d’édition a été construite avec et pour les auteurs qui dévoilent leurs visions engagées du monde d’aujourd’hui et de demain, selon une écriture contemporaine et audacieuse. Nous restons un éditeur convaincu que l’aventure des mots est sans cesse à renouveler. C’est pourquoi, au travers de romans, de recueils de nouvelles, de pièces de théâtre ou de livres de poésie, nos auteurs aspirent à faire émerger une nouvelle approche de la modernité littéraire.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Les premières images qui m’interpellèrent furent celles des livres d’histoire, peut-être pour avoir conscience du passé afin de vivre le présent et construire son futur.
Et votre première lecture ?
Plus jeune, j’ai lu énormément de livres sur la Seconde Guerre Mondiale, notamment sur la déportation et l’extermination d’humains par d’autres êtres humains. Je ne sais pas si j’en étais tout à faite consciente à l’époque mais je devais avoir le besoin de comprendre comment et pourquoi cela avait été possible. Pour ne citer qu’un seul ouvrage, je repense à Au nom de tous les miens de Martin Gray, qui retrace l’histoire de ce jeune homme qui doit vivre malgré tout, se battre contre la mort qui ne cesse de frapper autour de lui. Prendre tous les risques, connaître les souffrances mais ne jamais abandonner pour sortir victorieux d’une lutte contre la haine, la lâcheté et la fatalité.
Pourquoi votre attirance vers le théâtre et l’art ?
Le théâtre est un des arts que je considère comme total, brut et entier. Sur un plateau, il n’est pas possible de tricher, l’adresse est directe, sans barrières ; l’espace de liberté prend tout son sens et tous ses possibles. J’ai un profond respect pour ces hommes et femmes qui ont des choses à crier au monde, qui trouvent leur chemin et leur moyen d’expression à des endroits justes pour eux. Ces artistes posent des jalons pour ceux qui acceptent d’ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute aussi souvent que possible FIP Radio qui correspond bien à mes goûts musicaux assez éclectiques. Si je devais être plus précise je dirais que les deux artistes qui se détachent de ma playlist sont Saez, un des poètes de ce siècle, et “Archive”, un groupe qui m’a profondément marqué pour leur approche de création musicale.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Il me serait difficile de ne choisir qu’un seul livre… Je pourrais citer La maladie de la mort de Marguerite Duras et L’Étranger de Albert Camus, deux ouvrages, deux auteurs écrivant avec une profonde justesse des mots.
Quel film vous fait pleurer ?
J’ai beau chercher, je n’arrive pas à me remémorer un film qui me fasse pleurer. C’est peut-être un des traumatismes de l’enfance en ayant vu la maman de Bambi se faire assassiner (rires).
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quand je regarde dans un miroir, je vois le passé.
À qui n’avez-vous jamais osé écrire ? Je n’ai jamais « jamais osé écrire ». J’aime prendre un papier, un stylo et écrire des lettres… même si certains mots dorment encore dans un tiroir, je crois qu’il est important de garder l’écriture comme moyen de communication à l’heure du dangereux avènement de l’expression en cent quarante caractères.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Je pense être encore à la recherche de ce lieu si rare qu’on pourrait supposer qu’il n’existe pas. Ce lieu serait un endroit où l’on ose, où l’on fait, où il n’y a pas que de belles paroles, où l’on ne fait pas machine arrière aux premières difficultés, où l’on pense, où l’on ne juge pas trop vite, sans savoir, où l’on s’intéresse aux autres, où l’on est curieux, où l’on dialogue, où il serait possible d’avoir de vrais débats, des échanges, où tout ne serait pas tourné vers les flux financiers, où l’être serait plus important que le paraître. Un lieu qui relève de l’utopie.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
J’ai déjà cité quelques artistes et écrivains, et celle dont je me sens assez proche est Angélica Liddell, une artiste majeure de la scène contemporaine. Elle porte en elle le poids du vécu intérieur, du chaos, des maux de la société et le transforme en une substance infiniment vraie.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Je n’attache pas de grande importance à certaines dates dites clés dans une année, que ce soit un anniversaire ou un nouvel an. Aussi, plus qu’un cadeau à une date spécifique, je préfère recevoir les choses immatérielles qui n’ont pas de prix telles que l’amitié et la présence de certaines personnes auxquelles je tiens.
Que défendez-vous ?
À mon sens, la culture, l’art en général, l’environnement aussi, sont les seuls biens que nous avons en commun et qu’il nous faut préserver et défendre. La société moderne va trop vite, elle accélère, elle surconsomme, de l’information, de l’image, de l’énergie, et j’en passe. Nous aurions tendance à oublier les vraies valeurs, les liants, les fondements de l’être. Il est vital de se poser les bonnes questions, de réfléchir avant d’agir, de trouver des alternatives afin de ne pas finir dans le mur. Tout cela est difficile, on en revient à cette notion de combat(s) à mener, ce peut être une position inconfortable, dure à tenir mais il faut le faire, cela est nécessaire.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je répondrais à Lacan par Duras : « La passion reste en suspens dans le monde, prête à traverser les gens qui veulent bien se laisser traverser par elle. »
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
J’ai plutôt tendance à répondre « non », quelle serait alors la question ?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Quelles sont les personnes en qui je crois le plus ? Elles doivent le savoir.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 6 mars 2016.