Roland Sénéca, Morceaux pour faire un corps

Le livre de Roland Seneca rend compte, gra­phi­que­ment et par les mots ‚« d’un corps à venir et les moyens de le des­si­ner par mor­ceaux ». Hors de tout Golem . Mais l’artiste de pré­ci­ser qu’il doit demeu­rer  une énigme : « contre l’Histoire et en ne ces­sant de se répé­ter : que peut le corps et que faire avec lui ?».
A tra­vers les frag­ments de corps et les poèmes qui les accom­pagnent, Sénéca cherche la faille, traque l’ouverture. Il ne s’agit donc pas d’un équar­ris­sage mais de trou­ver en l’autre les mor­ceaux du même et de sa com­plé­tude. Le tout en rêvant de l’assemblage par ce qui sort des limites de la connais­sance et ce qui se découvre.

L’auteur et artiste en appelle impli­ci­te­ment à Bataille et bien sûr à Claude Louis-Combet pour accroître ses limites du corps. Il fait allu­sion à « l’œil inté­rieur ». L’organe du manque pour la femme reste pour l’homme fait de saillies, d’interstices. Son prin­cipe est l’avidité – mor­ceaux d’aspiration pour la sen­sa­tion infi­nie.  Demeure ce qui se montre, ce qui s’enfouit. Dureté et mol­lesse, arti­cu­la­tions et sou­plesse.
Néan­moins, on est loin d’une vision por­no­gra­phique. « Le sexe est la phy­sique de l’âme » dit Sénéca. Celle-ci est à englou­tir dans le pre­mier contre l’Histoire qui ne cesse d’en faire abs­trac­tion ou de lui don­ner à dévo­rer une viande méta­phy­sique ava­riée. Face aux inci­dences idéo­lo­giques qui la sapent, le corps devient « moments de passe, lieux de change ». Au bord du vide, par lui, il s’agit se rive­ter à l’obscure clarté, l’incessant advenir.

Restent dans les des­sins les empi­le­ments et couches que — de biais — l’écriture tra­verse : zig sau­tillant, zag cata­pul­tant. Pour une suite de moments de presque cer­ti­tude d’être et afin de faire corps ou plu­tôt d’en faire de deux un seul,  pour « titiller le ver­tige » dit Sénéca. Il s’agit de retrou­ver le plus qu’humain : la bête de Néan­der­tal.
Contre notre incom­plé­tude, le par­tage de ce qui est mutuel­le­ment donné se moque que la vie déforme les formes. Par elles, un visage inconnu nous est accordé, « ce visage ras­semble au matin tous les pos­sibles. Lieu désir d’être. Iden­tique il est mobile et ques­tion­nant » dit Sénéca. Il appelle à en jouir mais « en connais­sance de causes ». Pour en appré­cier les effets. En soi et dans l’Histoire où, depuis la nuit des temps, le monde se pré­sente comme une énigme.

jean-paul gavard-perret

Roland Sénéca, Mor­ceaux pour faire un corps, Edi­tions Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, non paginé, 2016 — 19,00 €.

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