Sandrine Collette, Il reste la poussière

Il faut saluer une réus­site roma­nesque de plus 

Sandrine Col­lette ins­talle un huis clos oppres­sant, au cœur d’une région aride, balayée par les vents gla­cés de la Cor­dillère, avec ces cinq per­son­nages qui se haïssent ou qui, a minima, sont indif­fé­rents aux autres.  L’auteur conti­nue à explo­rer les tré­fonds d’individus pla­cés dans des situa­tions de sur­vie, dans des condi­tions extrêmes où les per­cep­tions, les émo­tions sont por­tées au paroxysme.
Elle s’y entend à mer­veille pour rendre les sen­ti­ments, la ten­sion, pour décrire et faire res­sen­tir les sen­sa­tions phy­siques, les bles­sures, la dou­leur tant cor­po­relle que morale. Dans ce roman, elle décrit avec talent les res­sen­tis, les bruits, les odeurs, les cou­leurs d’une nature pri­male, sau­vage, indomp­tée, libre.

Dans une estan­cia de Pata­go­nie, là où se sont réfu­giés les petits éle­veurs chas­sés par les céréa­liers et les gros pro­prié­taires qui les poussent à vendre leurs pâtures pros­pères, la Mère et ses quatre fils sur­vivent. Les deux aînés, Mauro et Joa­quin, des jumeaux, détestent Rafael, le petit der­nier, venu en trop pensent-ils. Ils jouent avec lui comme avec un bal­lot de paille, le frappent, l’insultent. La mère ne dit rien, semble indif­fé­rente. D’après la ver­sion offi­cielle le père est parti sans mot dire. En fait, elle l’a tué, prise d’un accès de fureur, face à sa vie détruite, de voir le fruit des ventes de bétail ne ser­vir qu’à l’achat de bou­teilles de gnôle.
Ils vivent iso­lés, retran­chés sur une terre aride, dans une nature sau­vage, hos­tile. La mère va, une fois par mois, à San León où le ban­quier prend le peu d’argent gagné avec la vente de bêtes ou de laine pour payer les dettes. De rage, elle rejoint alors le bar où elle boit, ou elle joue… et perd.
Rafael, le souffre-douleur, vit quo­ti­dien­ne­ment dans l’angoisse. Il reporte son besoin d’amour sur Trois, un chien et sur Hal­ley, son che­val avec qui il fait corps. La mère dans une crise de folie joue Joa­quin et le perd. Il part dans une autre estan­cia où il découvre un monde tota­le­ment ignoré. Il manque même si Mauro, devenu un colosse, assure une large part du tra­vail épui­sant. Tout bas­cule quand un soir, après une nou­velle raclée infli­gée par Mauro, Rafael oublie de fer­mer l’écurie…

Chaque cha­pitre est consa­cré à un acteur du drame, où sont détaillés ses actions, ses réflexions, ses impres­sions, ses points de vue, les rai­sons et les moti­va­tions de ses actes, les argu­ments qui jus­ti­fient son com­por­te­ment. Ce groupe est com­posé de tai­seux, enfer­més sur eux-mêmes, sur le vide de leur exis­tence usée par de longues et épui­santes jour­nées de tra­vail. Cha­cun est seul, vit dans un total iso­le­ment, perdu dans un monde hos­tile avec pour l’objectif unique de conti­nuer coûte que coûte cette vie de misère, sans espoir, sans pro­jet, sans ave­nir.
L’auteure raconte la fatigue, l’épuisement. Elle truffe son récit de scènes superbes, d’une grande puis­sance comme, par exemple, les atti­tudes de deux enfants, l’abîme de réflexions sus­cité par la ques­tion ano­dine posée par l’un d’eux : « Tu f’ras quoi plus tard ? »

Collette place le jeu comme exu­toire, comme un défi au des­tin, comme un pied de nez à la misère, au point de perdre toute faculté de rai­son­ne­ment, pour ten­ter de faire tour­ner la chance, de vaincre cette vie pauvre, misé­rable. Il reste la pous­sière pose, en fond, la ques­tion fon­da­men­tale de l’adaptation de l’Homme à son envi­ron­ne­ment. Peut-on, dans un cadre aussi misé­rable, dur, exi­geant, sur­vivre avec des atti­tudes BCBG, des posi­tions de “Bisou­nours”, des opi­nions de bobo ? N’est-ce pas sui­ci­daire de rêver à un ave­nir impos­sible ?
Une fois encore, cette roman­cière, à l’immense talent, offre un récit âtre, puis­sant, fai­sant trans­pa­raître toute la dureté des âmes, toute la dureté de la vie dans des régions inhos­pi­ta­lières et donne une vision de rela­tions fami­liales presque impossibles.

serge per­raud

San­drine Col­lette, Il reste la pous­sière, Denoël, coll. “Sueurs froides”, jan­vier 2016, 304 p. – 19,90 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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