Coloriste et dessinateur extraordinaire, Etienne Delessert propose sa reconfiguration d’Ubu Roi dans une dérive picaresque de sa cour des miracles. L’artiste fonda la société Carabosse puis les éditions Tournesol à Lausanne où il conçut et réalisa des dessins animés pour la télévision. Passant de sa Suisse natale à Paris puis New-York, il s’installe aux USA. Lauréat de nombreux prix internationaux, il est réputé pour ses livres pour enfants dont les aventures de « Yok Yok ». Une pléiade d’exposition ponctue son parcours.
Avec Ubu Roi, Delessert marche sur les eaux (sans se prendre pour le Christ). Il remonte à la source de son travail afin de libérer de nouvelles bulles. Devenu roi tyrannique et grotesque d’une Pologne imaginaire, Ubu y est charmé par sa malfaisante épouse. Le graphiste américano-vaudois s’en donne à cœur joie. Les outrances bouffonnes du héros et la grossièreté de ce qui était à l’origine une farce potache sont multipliées par l’imagerie dégingandée de l’artiste.
Il rajoute une couche d’ironie à l’histoire du roi enchérisseur et de sa maléfique épouse. Au simple plaisir des mots s’ajoute la charge des dessins. Le logos est encore plus déboussolé par les agencements et les glissements des percées allègres et intempestives des dessins. Le grotesque se livre au dérèglement non seulement du mais des sens.
Entre le texte et les dessins, il n’y a donc moins de contradiction que de complémentarités. Le « caveaubulaire » du langage de Jarry se double des dessins pour en approfondir l’insondable.
jean-paul gavard-perret
Etienne Delessert & Alfred Jarry, Ubu Roi, Gallimard, Paris, 2015.