Rassemblées pour la première fois en livre chez P.O.L, Les Elégies ont été écrites de 1969 à 1989. Elles sont significatives d’une stratégie qui sort la poésie de son brouet biographique pour le projeter vers ce qui le nourrit à l’origine à travers ce genre essentiellement lyrique : à savoir, narcissisme, états d’âme, douleur, amour, souvenirs, soupirs et regrets. Ces éléments aussi culturels que douteux, Hocquard les ébranle car ils entretiennent de facto une sorte de « mutisme » de la langue. Ce faisant, il réhabilite et réhabite un genre devenu « déceptif » et dévitalisé. Il s’en réapproprie ses restes ou ce qu’il nomme « un reste de poésie ».
La négativité élégiaque se transforme et s’intensifie à travers ce que le poète dévitalise. La réalité et la subjectivité se juxtaposent là où le monde en sa représentation poétique ne devient qu’un « magasin d’accessoires ». Ce qu’on nomme le sentiment élégiaque est donc poussé à bout jusqu’à ses conséquences extrêmes : la nouvelle « mélancolie » du verbe rappelle combien le poids de la réalité et de la biographie ont pesé sur lui de manière oppressante.
Les Elégies deviennent donc un moyen d’en finir avec tout biographisme. Elles se transforment en « maisons de verre aux façades réfléchissantes où se dissipent les images ». En même temps, l’élégie retourne à ses fondements latins. Hocquard revient en effet à ce qu’il nomme « une petite langue », une langue utilitaire et pauvre dégagée d’adjectifs ou d’images. Cette poésie n’est plus qu’une « petite langue domestique à l’intérieur de la langue générale». A l’enchevêtrement lyrique se substitue une mise à nu du langage. Celui-ci retrouve sa capacité à traiter ses propres ombres « comme des objets résiduels disposés sur une table ou le marbre d’une cheminée ».
Hocquard retourne donc le concept d’élégie en la dégageant de tout pathos.
Ne demeure que l’objectivité des traces littérales dégagées de la sphère de l’intime. Le poète entonne donc dans l’atonalité verbale le deuil du lyrisme avec un parti-pris de minimalisme et de blancheur. Mallarmé, Reverdy ne sont pas loin mais l’auteur pousse leur poétique de manière radicale.
La poésie sort de la profération d’un émoi narcissique et subjectif. Elle retourne le présent contre le passé et le futur. Ce n’est plus le temps qui efface ou déporte : tout reste « terriblement intact » là où naît la vraie souffrance. Aux souvenirs illusoires fait place la présence obsédante d’objets. Ils deviennent la contresignature de la persistance de la disparition. Le temps apparaît telle une surface où le « je me souviens » de Pérec se décline selon une nouvelle donne.
Hocquard semble dans cette posture le parfait opposé de Prigent et Novarina. Mais de fait, par une voie perpendiculaire à la leur, comme eux il crée un retournement poétique, défait la langue afin que surgisse une voix primitive et sourde éloignée autant de la mimesis que d’une spiritualité qui n’est souvent qu’un cache-misère.
jean-paul gavard-perret
Emmanuel Hocquard, Les Élégies, Collection Poésie/Gallimard (n° 513), Gallimard, Paris, 2016.