Emmanuel Hocquard , Les Élégies

Poésie res­tante

Rassem­blées pour la pre­mière fois en livre chez P.O.L, Les Elé­gies  ont été écrites de 1969 à 1989. Elles sont signi­fi­ca­tives d’une stra­té­gie qui sort la poé­sie de son brouet bio­gra­phique pour le pro­je­ter vers ce qui le nour­rit à l’origine  à tra­vers ce genre essen­tiel­le­ment lyrique :  à savoir,  nar­cis­sisme,  états d’âme,  dou­leur, amour,  sou­ve­nirs,  sou­pirs et regrets. Ces élé­ments aussi cultu­rels que dou­teux, Hoc­quard les ébranle car ils entre­tiennent de facto une sorte de « mutisme » de la langue. Ce fai­sant, il réha­bi­lite et réha­bite un genre devenu « décep­tif » et dévi­ta­lisé. Il s’en réap­pro­prie ses restes ou ce qu’il nomme « un reste de poé­sie ». 
La néga­ti­vité élé­giaque se trans­forme et s’intensifie à tra­vers ce que le poète dévi­ta­lise. La réa­lité et la sub­jec­ti­vité se jux­ta­posent là où le monde en sa repré­sen­ta­tion poé­tique ne devient qu’un « maga­sin d’accessoires ». Ce qu’on nomme le sen­ti­ment élé­giaque est donc poussé à bout jusqu’à ses consé­quences extrêmes : la nou­velle « mélan­co­lie » du verbe rap­pelle com­bien le poids de la réa­lité et de la bio­gra­phie ont pesé sur lui de manière oppressante.

Les Elé­gies deviennent donc un moyen d’en finir avec tout bio­gra­phisme. Elles se trans­forment en « mai­sons de verre aux façades réflé­chis­santes où se dis­sipent les images  ». En même temps, l’élégie retourne à ses fon­de­ments latins. Hoc­quard revient en effet à ce qu’il nomme « une petite langue », une langue uti­li­taire et pauvre déga­gée d’adjectifs ou d’images. Cette poé­sie n’est plus qu’une « petite langue domes­tique à l’intérieur de la langue géné­rale». A l’enchevêtrement lyrique se sub­sti­tue une mise à nu du lan­gage. Celui-ci retrouve sa capa­cité à trai­ter ses propres ombres « comme des objets rési­duels dis­po­sés sur une table ou le marbre d’une che­mi­née ».
Hoc­quard retourne donc le concept d’élégie  en la déga­geant de tout pathos.
Ne demeure que l’objectivité des traces lit­té­rales déga­gées de la sphère de l’intime. Le poète entonne donc dans l’atonalité ver­bale le deuil du lyrisme avec un parti-pris de mini­ma­lisme et de blan­cheur. Mal­larmé, Reverdy ne sont pas loin mais l’auteur pousse leur poé­tique de manière radicale.

La poé­sie sort de la pro­fé­ra­tion d’un émoi nar­cis­sique et sub­jec­tif. Elle retourne le pré­sent contre le passé et le futur. Ce n’est plus le temps qui efface ou déporte : tout reste « ter­ri­ble­ment intact » là où naît la vraie souf­france. Aux sou­ve­nirs illu­soires fait place la pré­sence obsé­dante d’objets. Ils deviennent la contre­si­gna­ture de la per­sis­tance de la dis­pa­ri­tion. Le temps appa­raît telle une sur­face où le  « je me sou­viens » de Pérec se décline selon une nou­velle donne.
Hoc­quard semble dans cette pos­ture le par­fait opposé de Prigent et Nova­rina. Mais de fait, par une voie per­pen­di­cu­laire à la leur, comme eux il crée un retour­ne­ment poé­tique, défait la langue afin que sur­gisse une voix pri­mi­tive et sourde éloi­gnée autant de la mime­sis que d’une spi­ri­tua­lité qui n’est sou­vent qu’un cache-misère.

jean-paul gavard-perret

Emma­nuel Hoc­quard, Les Élé­gies, Col­lec­tion Poésie/Gallimard (n° 513), Gal­li­mard, Paris, 2016.

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