Rome, objet des convoitises mafieuses !
Avec Suburra, les auteurs poursuivent le récit d’une saga mafieuse dans la Rome de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle. On retrouve Samouraï, un ex-leader fasciste devenu truand de haute volée. En 1993, trois hommes aux ordres de Samouraï cambriolent, avec la complicité de carabiniers, une chambre forte qui abrite les richesses et les secrets de magistrats, avocats, notaires, flics… Sur les neuf cents coffres, cent quatre-vingt-dix-sept seulement l’intéressent. Le butin remis, les trois hommes sont exécutés.
Marco Malatesta, un jeune loubard de dix-huit ans, croit aux prêches du Samouraï lorsque celui-ci parle d’actes révolutionnaires. Aussi, quand il découvre qu’il n’est qu’un dealer, il veut le tuer. Il manque son coup et se fait marquer au visage. Sa blessure cicatrisée, il se présente à la caserne des carabiniers.
Quelques années plus tard, le député Pericle Malgradi, champion de la chrétienté, est en compagnie de deux prostituées quand l’une d’elle décède. Affolé, il accepte l’aide de Sabrina et de Spadino pour se débarrasser du corps en toute discrétion. Spadino, un dealer du gang des Gitans, fait alors chanter le député, gros consommateur, pour devenir son fournisseur exclusif. Mais Numéro Huit, qui règne sur Ostie avec son groupe, ne l’entend pas ainsi. Il donne rendez-vous à Spadino, le tue et fait brûler le corps et la voiture.
Marco Malatesta, devenu Lieutenant-colonel du ROS, les forces spéciales des carabiniers, veut la peau de Samouraï. Ce dernier mène un projet immobilier colossal et gère un équilibre précaire entre les gangs, les réseaux politiques, religieux. Mais le meurtre de Spadino est le grain de sable qui va mettre à mal, dans le sang, sa belle combinaison.
Pour la construction de leur récit, les auteurs s’appuient sur la rubrique des faits divers, sur des informations diffusées dans les médias. À partir de ces faits véridiques, ils conçoivent une intrigue qui colle à la galerie des personnages, une galerie où la dichotomie n’est pas de mise. Si l’on trouve d’un côté des affreux, des tueurs et tortionnaires sans pitié, de l’autre des chevaliers défenseurs de la loi, les romanciers placent, entre les deux, une population à la moralité mouvante qui oscille, selon les circonstances vers le mal ou vers le bien. Il faut remarquer que tout ce beau monde se drogue à qui mieux mieux. C’est une foule, aux narines enfarinées, qui a besoin de beaucoup d’argent ou d’une place donnant un accès privilégié à aux drogues.
Les auteurs mettent en scène toutes les couches sociales d’affairistes, depuis ces gangs qui, implantés sur des territoires, mettent tout en œuvre pour les défendre, jusqu’à des religieux du Vatican qui jugent bons d’être dans les filières qui rapportent, quelle que soit l’odeur de l’argent. Ils dépeignent ainsi toute une foultitude, des bas-fonds au sommet, des tueurs sans scrupules aux horribles hypocrites qui fréquentent les lieux les plus luxueux.
Ce récit, soutenu par une écriture jubilatoire, fait alterner des scènes de roman très noir et des tableaux de mœurs, la comédie et la tragédie, servis par des personnages ambigus, troubles, et d’admirables figures de femme. Prémonitoire, ce roman, paru en Italie en 2013, préfigure le scandale qui a éclaté à Rome en 2014–2015, avec l’affaire de Mafia Capitale qui a vu l’arrestation de dizaines d’élus romains impliqués dans des affaires de corruption, détournements…
Ce roman magnifique, dense, puissant, se lit avec passion, avec une tension entretenue par les rebondissements à foison d’une intrigue menée avec maestria.
serge perraud
Giancarlo De Cataldo & Carlo Bonini, Suburra (Suburra), traduit de l’italien par Serge Quadruppani, Éditions Métailié, Bibliothèque italienne – Noir, janvier 2016, 480 p. – 23,00 €.