Le livre de Cholodenko est-il mouillé des pleurs qui pourraient se verser sur son sombre héros ? Ce serait anticiper son propos comme la mort du personnage. Il n’a pas encore passé l’arme à gauche mais vit déjà en un certain exil. Celle « d’une durée miséricordieuse ménagée à l’intérieur d’un réel » qui s’écoule désormais en un compte à rebours mais non sans humour (ce qui rend par contre coup le livre plus cruel). Cholodenko y excelle au sein d’une seule phrase de 90 pages. Au sein de ce fleuve phrastique se distinguent des épisodes bien marqués par empilements tirés loin des cérémoniaux en usage dans l’habituelle fiction.
Les mots s’accumulent dans cette ph®ase labyrinthique sans jamais étouffer le lecteur. Le texte l’emporte sur la mort annoncée : il n’en est pas la chronique (tout en évitant un espoir superfétatoire). Au temps humain succède le temps « exclusif et inouï du verbe » et de ses représentations. Existe un parfum de vie dans leurs renversements au moment où une certaine indifférence à ce que Cholodenko représente ou engrange permet saillies et béances. S’y polit le fin mot plutôt que le mot fin.
Là où la pensée va s’éteindre restent des traces bouillantes ou ridicules. Elles font se redresser certains membres avant qu’ils ne durcissent sous terre. Pas de renoncement : juste ça et là une pusillanimité. Preuve que le livre devient un texte de référence face à la mort qu’on se donne ou qui nous est donnée. Il est un acte de bonne foi même pour les athées.
jean-paul gavard-perret
Mark Cholodenko, Il est mort ?, P.O.L Editeur, Paris, 2016, 96 p. — 9,00 €.