La poésie verticale d’Anna Jouy
Anna Jouy s’est sentie très longtemps en résonance avec le travail de l’artiste nord américain Lalonde Gabriel et celui du peintre Odd Nerdrum. Les deux cultivent dans leur art une inquiétude et une folie qui fascinent la créatrice. Elle publie un livre majeur dont le mot essentiel serait le verbe dresser : « Dresser. C’est le mot que j’emploie couramment, que je travaille, que j’actionne ». Et la poétesse d’ajouter : « Est-ce une intention de verticalité ? » Sans doute.
Par son livre, le lecteur assiste une nouvelle fois à des « apparitions ». Tel Juarroz, la poétesse rappelle que peu à peu nous avons disparu de la nuit mais que « il a fallu longtemps pour s’extraire. se hisser hors du temps. peut-être renaître ». Afin d’y parvenir elle cherche les « mots étrangers, des mots insensés, des idiomes allogènes, émanations sans histoire ». La Romande les anime dans sa poésie bien sûr mais aussi ses mises en scènes, des chansons et même des romans policiers.
Anna Jouy redessine l’espace, le dépouille de ses repères bien au-delà de ce qu’on nomme une poésie surréaliste. Sortant du voile de la nuit, le songe affronte le réel, rejoint les vivants en créant la Présence. Elle s’affirme en multiples retouches et petites prises de lumière. S’y apprivoisent l’aveuglement, les terres du sommeil et les épaves nocturnes. Entre deux mondes, l’artiste devient passe-muraille de la vie et de la mort, de la nuit et du jour. Le souffle crée un langage riche et profond qui n’a rien d’un délire en dépit de ses postulations et ses pré-requis.
Voulant habiter le monde et son secret, l’artiste joue des illusions. Elles ne sont pas mensonges mais la seule voie pour atteindre la vérité à celle qui, comme chacun de nous, reste le jouet du temps et de sa finitude. Après Agrès, Acrobates, son nouveau livre poursuit plus loin des sauts et des marches sur un fil « tendu comme un poing ». Le texte devient l’esquisse des ivresses de vie et de rêve face à « l’esprit mou des nuages ». En empathie avec le monde, dans L’acide citronnier de la lune la poétesse l’affronte « l’œil sur le lisse bleu ciel, le lisse froid encore, la paroi verglacée du matin » .
Au lieu d’y glisser, elle s’accroche à la moindre aspérité pour retenir une verticalité qui n’a rien d’une simple spiritualité. « Un peu de mort vive dans la chemise j’essaie un rêve ajusté » écrit l’auteure, fidèle à l’aube qui renvoie à son blog “Les mots sous l’aube. Ce mot est important. Il signifie le temps et l’espace de transition qui impose le lever. Mais Ana Jouy va plus loin : elle ” lève le matin” afin de vivre ici même, ici bas des suites de résurrections successives.
Revendiquant son propre étonnement pour les gens, les choses et les secrets qu’ils recèlent, la poétesse poursuit le désir de soulever tout ce qui se cache ou qu’on lui cache. Pour autant, elle ne cherche pas à envahir ou posséder l’autre. Elle demeure celle qui — renonçant à l’appartenance et l’apparentement — tente de proférer par ses texte des histoires (et bien plus) de « parfaite semblance ». Dans ce but, elle cultive les papillons dans sa poitrine, l’araignée dans sa tête au moment où, en sortant, ils passent à l’envers du décor, à travers les rideaux, que l’auteure a « noués d’une corde de coton et d’une étoile ».
Le poème crée ainsi ce qu’elle nomme une « loggia spectaculaire. sur son balcon ». Il n’est pas fait d’étincelles mais « du retard du son quand il nous vient à l’œil ». Et ce, à travers sa tessiture. En surgit sa « trace dans l’air ». Elle la distingue de tous les autres poètes, et continue à panser sa blessure d’amour.
jean-paul gavard-perret
Anna Jouy, L’Acide citronnier de la lune, Editions Alcyone, coll. Surya, Saintes, 2016 — 16,00 €.
touchée… de cette lecture qui me “donne à voir” l’attention que vous portez à mon parcours. vous pointez de la plume mes thèmes, quelques obsessions , les blessures oui aussi et le besoin d’accrocher le regard un peu plus haut que le sol.
grand merci
anna