René Frégni est le spécialiste du roman noir. Il le définit comme « une pyramide posée sur la pointe et le roman du désordre ». Le chaos, l’auteur le retrouve dans la société. Elle est le fond aussi de ses souvenirs écrits sous l’égide de Giono avec lequel — même si les temps ont changé — il a beaucoup de points communs. Dans ce livre, moins que de se regarder, Frégni nous regarde (sans s’exclure de cette contemplation). Son miroir est donc le nôtre. Mais si dans ses romans noirs le lecteur peut discerner le pire, il découvre ici un certain merveilleux dégraissé de toute mièvrerie.
D’habitude, dans ses livres, Frégni trempe sa plume dans la vie, ici il la plonge dans la sienne et dans sa Provence où « l’automne est limpide et bleu, ce n’est pas une saison, c’est un fruit ». L’auteur y flâne jusqu’à Manosque, temple de son maître. Mais on est loin des pagnolades. Les femmes humbles et bien sûr les parias restent en avant-scène. L’auteur a le regard et l’oreille fines. Il sait raconter la mort d’un chat ou la surprise d’entendre les gémissements d’une femme qui jouit.
Ce n’est plus la fiction qui crée la réalité mais la réalité une sorte de fiction. L’auteur s’attache à des instants qui ne sont pas forcément « forts » mais ce choix fait tout le prix du texte. Pourtant, celui qui anima des ateliers d’écriture dans des prisons en a connu. Il a côtoyé des caïds. Un d’entre eux lui a même proposé d’ouvrir un restaurant et menottes aux poignets il a été conduit en garde à vue à l’Evêché à Marseille pour blanchiment d’argent sale. Ce qui était faux.
Mais à son histoire kafkaïenne il préfère celles des perdants pris dans un engrenage. Mais là encore, il joue de la retenue, préfère le moins au trop qui croustille. Comme lorsqu’il rentrait aux Baumettes, Frégni arrive vers nous avec des valises pleines de mots. Les émotions sont là sans fleurs ni oiseaux juste pour faire sentir l’humain jamais assez humain. Et si dans ce livre l’auteur semble pose ses valises, il n’oublie pas de les ouvrir. En surgit l’émotion de l’enfance et de tous les jours, les souvenirs, la lumière du jour : celle de son sud avec ses tragédies et ses comédies.
Le livre est bleu de ciel mais avec du noir dedans. L’auteur y rappelle combien ceux qui sont parfois considérés comme des monstres ne sont pas plus mauvais que lui. Frégni va à la recherche des angles aussi morts que vivants. Le monde est tel qu’il est, dans les garrigues comme à Marseille la mal aimée. Pointent des moments de calme et surtout de nostalgie. Ils permettent de comprendre qu’il n’y a pas d’un côté les voyous et de l’autre les justes : « on ne voit ça que dans les cours de récré, à l’école primaire. Dans la vraie vie il y a un seul gâteau et tout le monde mange » plus ou moins salement.
La morale n’est parfois pas loin de changer de camp — surtout quand la douleur ou la misère est forte. L’humain est là, le monde aussi. Tels qu’ils sont. Ce livre ne changera pas le statut de l’auteur. Il restera remisé au rang d’écrivain de genre ou de série B. Il rappelle qu’un tel déclassement vaut mieux la barbarie. Frégni croit et prouve que le seul contre-feu reste la culture et les mots dans le cœur des hommes, quelles que soient leurs “qualités”. Qu’ils n’en aient que trop peu n’est pas une raison pour les remiser dans les tiroirs que la société a prévus pour eux.
jean-paul gavard-perret
René Frégni, Je me souviens de tous vos rêves, Gallimard, coll. Blanche, 2016. En librairie le 10 février — 14, 00 €.
René Frégni fut le chouchou des élèves de Rumilly . La Savoie et surtout Chambéry l’ont souvent accueilli comme un écrivain humain . Le vrai statut est celui reconnu par moult jeunes étudiants . Rêve devenu réalité .
JPGP sait discerner l’auteur de ” qualités ” .
René Frégni et …la Provence se glisse entre les barreaux.
L’auteur a répondu OUI à l’invitation des lecteurs du centre pénitentiaire d’Aiton.
Le livre vient de paraître aux éditions Gallimard. Il porte un titre superbe : Je me souviens de tous vos rêves.
Son auteur René Frégni poursuit une œuvre de plus en plus personnelle, au cœur de l’intime mais qui résonne en chacun de nous.
Il nous avait déjà montré qu’il était poète. Avec ce livre il va encore plus loin. Son style s’est éclairé, son regard s’est adouci. Avec le temps l’auteur a appris à prendre garde à la douceur des choses et à la vérité des êtres. Les passions sont toujours là: la beauté des femmes, le rapport sensuel à la nature et à cette Provence aimée, parcourue, l’amour pour’une mère défunte mais toujours présente, pour sa fille à présent éloignée, la tendresse pour les chats ou l’amitié. On y croise des personnages attachants comme ce libraire magnifique de Banon ou Pierre rencontré en chemin mais aussi Isabelle , si douce. Ce livre est aussi et surtout un ouvrage sur l’absolue nécessité d’écrire :” il y a trente ans que j’écris tous les matins pour faire tomber la mort de ma table.“
A la question d’Hervé: ” l’écriture est donc essentielle?” l’auteur répond: ” la page blanche est un miroir. Tu prends le temps de chercher le mot juste, tu te concentres, tu redécouvres des souvenirs. Tu es dans un état second. Quand j’écris tout sort. Je me comprends mieux en écrivant qu’en lisant.“
Dimitri interroge l’auteur :” entre le début de ton écriture et maintenant est-ce que la motivation est la même ?“
René Frégni: ” on ne m’a jamais posé cette question. J’ai la même passion mais aujourd’hui je suis sûr que ce que j’écris va être publié. J’ai mis sept ans avant de l’être. Ca change tout. J’ai le même plaisir. C’est mon seul métier.“
L’écrivain parle avec amour des mots, donne des exemples, conseille aux lecteurs de lire, lire et encore lire et puis d’écrire pour faire naître les paysages, les odeurs, la musique, pour rester libres malgré tout.
Ce livre n’est pas un roman. Ni un récit. Plutôt une confidence.
“Dans ce cahier, vous l’avez compris, je ne bâtis pas un roman, j’écris le roman de nos vies et toutes nos vies sont bien plus romanesques qu’un roman.“
Les mots ont permis à la Provence peuplée de personnages magnifiques de se glisser entre les barreaux et de faire souffler un vent de liberté.
C.A.
j ai beaucoup aime ce livre au fil des mois les petits evenements quotidiens deviennent poetiques et ns amenent une douceur. ma mere est arrive a le lire et a dit:“il m’a ecrit” probablement en souvenir de notre racine a Peyruis.et tous ces villages tant parcourus.
J’ai adoré entendre René Frégni, parler des mots hier soir à la Grande Librairie, l’émotion était contagieuse dans ses propos.
Je vais m’empresser d’acheter son livre ce matin, tant il m’a touché.
Quel bel éloge ce cet écrivain vous faites Monsieur Jean-Paul Gavard-Perret, bravo !