Khaled Hosseini, auteur des Cerfs-volants de Kaboul, évoque sa situation d’exilé, son métier de médecin — et son activité littéraire…
Khaled Hosseini a quitté l’Afghanistan à 11 ans. Depuis 1980 il vit en Californie, où il exerce maintenant la médecine. Son premier roman, Les Cerfs-volants de Kaboul, publié aux USA en 2003 remporte un immense succès, prouvant que le rêve américain existe toujours ! Rencontre avec un écrivain comblé.
Votre premier roman, vous l’avez écrit en anglais. Vous considérez-vous comme un auteur américain ou un auteur afghan ?
Khaled Hosseini :
J’écris principalement en anglais, mais je me considère et me considérerai toujours comme un Afghan en exil. Je m’envisage comme un écrivain afghan qui écrit en anglais et vit en Amérique. Cette double culture, je la vis au quotidien, je suis marié avec une femme afghane, on est très près de nos familles et de la communauté afghane au nord de la Californie où nous vivons ; il y a aussi le mode de vie occidental avec les amis américains et au travail. Alors j’ai un peu l’impression de vivre une double vie, ce qui en Amérique n’est pas vraiment exceptionnel. Aux USA la notion de communautés d’immigrés existe : vous pouvez vous appeler mexicain-américain, afghan-américain.
Êtes-vous en exil de votre langue maternelle ?
Non, je parle farsi chez moi, avec mes enfants : mon fils qui a 4 ans est bilingue. Je parle farsi avec mes parents, mes amis afghans, mais j’ai un plus grand confort d’écriture en anglais.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire alors que vous aviez votre métier de médecin ?
Je continue mon métier de médecin, mais j’ai pris un an de congé sabbatique pour écrire.
Enfant, en Afghanistan, j’écrivais déjà des nouvelles, des textes courts, et puis quand nous sommes venus en France j’ai encore écrit en français, et ensuite en Amérique mes nouvelles étaient écrites en anglais, j’en ai même publié trois ou quatre dans des petits magazines : c’était bien avant que j’aie décidé de poursuivre dans ce métier. J’ai toujours voulu écrire un roman. J’avais écrit une nouvelle qui s’appelait déjà “Les cerfs-volants de Kaboul”, avec les mêmes personnages et la même histoire. Mais mon texte ne m’a pas tellement plu parce que je trouvais les personnages un peu étouffés par les contraintes d’une nouvelle. Et puis mon beau-père l’a lu et m’a téléphoné un jour pour me dire qu’il l’avait trouvé très beau et regretté qu’il ne soit pas plus long. Alors en mars 2001 j’ai commencé à étoffer cette nouvelle, à en faire un roman.
Le personnage d’Amir est-il inspiré de votre propre enfance ?
Comme lui j’ai commencé à écrire tout petit, comme lui je suis né et j’ai grandi dans une famille aisée, j’ai habité dans le même quartier de Kaboul, il y avait des domestiques, des Hazaras comme dans l’histoire, j’ai formé une amitié avec l’un d’entre eux qui m’aidait pour mes cerfs-volants, et j’ai pensé à lui quand j’ai créé le personnage d’Hassan.
Un sentiment de solitude habite votre héros. Votre roman évoque la difficulté de se construire dans un environnement solitaire, l’écriture est-elle un moyen d’y parvenir ?
Pour Amir, oui. Pour moi non : je n’ai jamais connu ce sentiment de solitude, j’ai toujours été entouré par des gens que j’aimais et qui m’aimaient aussi, je suis l’aîné de cinq enfants, en Afghanistan ma vie sociale était très riche. Mais si Amir ressent de la solitude c’est parce que son père et lui sont très différents : son père est très puissant et un peu mythique alors qu’Amir est timide, intimidé par son père, et pas doué pour le sport comme il l’est lui.
Pouvez-vous me parler des thèmes abordés dans votre livre : amitié mais aussi trahison, lâcheté, cruauté…
J’ai toujours envisagé le personnage d’Amir comme quelqu’un d’un peu troublé, j’ai aimé écrire sur un personnage en conflit, capable de faire des choses vraiment terribles, quelqu’un qui pouvait être atroce même, ce qui me donnait l’intrigue. J’écris toujours principalement pour raconter une histoire, et les thèmes se développent pendant l’écriture.
À propos de la notion de destin, qui semble implacable dans votre histoire et vous rattrape toujours, vous donnez à Amir la possibilité de se racheter du mal qu’il a fait…
Oui, je crois qu’il veut toujours désespérément surmonter ses défauts, il n’est pas inconscient de ses faiblesses, je crois qu’il les reconnaît mais il en est un peu honteux : pour cette raison, je crois qu’il provoque la sympathie du lecteur. S’il est capable de faire des choses terribles, il a aussi un côté admirable, et à la fin c’est au lecteur de décider s’il s’est racheté ou non. Traverser la moitié de la planète pour retourner en Afghanistan sous le régime des talibans est extrêmement courageux et difficile… ça montre à quel point il veut désespérément faire quelque chose, et là, sur place, ce n’est pas quelqu’un qui vient comme un héros, sur son cheval, il faut encore qu’il se pousse. Je cois que tout être humain est capable de lâcheté et de trahison et en même temps d’être courageux et d’avoir de la bonté.
Le retour en Afghanistan… y êtes-vous retourné depuis votre enfance ?
Après l’époque des talibans, en mars 2003, pour deux semaines, mais retourner vivre là-bas est difficile à envisager parce que je suis marié et j’ai deux petits enfants de 2 et 4 ans, je n’ose pas les emmener là-bas, être père change tout.
Ce que je raconte est romanesque, basé sur des tas de petites anecdotes recueillies auprès de gens qui ont vécu en Afghanistan à cette époque-là. Je les ai utilisées pour créer le Kaboul où j’envoie Amir devenu homme.
Justement vous dédiez votre livre à vos enfants et aux enfants afghans. Quel message voudriez-vous leur faire passer ?
Ce n’est pas un message pour les enfants d’Afghanistan mais plutôt pour le reste du monde, pour qu’on n’oublie pas l’Afghanistan où tant de travail reste à faire, où il y a tant de problèmes très sérieux à résoudre qui concernent les enfants. Ma dédicace veut dire aux enfants que je les soutiens, que je souhaite que les efforts de reconstruction dans ce pays continuent.
Dans votre histoire, l’univers est très masculin. Les petits garçons sont élevés par leurs pères, les femmes sont absentes, mortes, mises à l’écart, parties, ou réduites à l’état de personnages secondaires. Pourquoi ?
Parce que c’est l’exigence de l’histoire. Moi quand j’ai grandi à Kaboul, dans ma vie, les femmes étaient très présentes : ma grand-mère, ma tante, ma mère aussi qui était professeur de farsi et d’histoire, elles pouvaient dire ce qu’elles voulaient… J’avais une vie un peu de style occidental. Mon histoire, je l’ai toujours envisagée comme un triangle d’amour entre trois personnages : le père, le serviteur et le fils. Dans mon prochain roman qui se passe en Afghanistan autour de 1990 pendant la fin de la guerre avec les Soviétiques et pendant le régime des talibans, les personnages centraux seront les femmes.
Votre livre aurait-il pu s’écrire sans l’expérience du terrain ?
Je crois que c’est toujours possible d’écrire avec des rêves qu’on n’a jamais expérimentés personnellement, mais ça m’a bien aidé pour écrire l’histoire des deux garçons d’avoir vécu les tensions ethniques, les différences sociales en Afghanistan.
Qu’est-ce que le roman pour vous ? Une miniature du monde ?
Le roman reflète le monde autour de nous, et ce roman reflète le monde que j’ai connu à Kaboul, et l’Afghanistan comme je le vois aujourd’hui, il reflète mon affection, mes critiques et mes inquiétudes pour ce pays.
Y a t-il des auteurs dont vous vous sentez l’héritier ?
Je me sens un peu héritier de tous ceux que j’ai lus (rire) !! J’ai lu beaucoup d’auteurs américains depuis vingt-cinq ans que je suis dans ce pays, j’aime bien des auteurs comme Alice Munro, Carol Shields, John Steinbeck. J’apprends quelque chose de tous les auteurs que je lis. Je viens juste de finir Mémoires de Marjane Satrapi, rigolo, émouvant, très intelligent.
Quel genre de romancier avez-vous envie de devenir ?
Ce qui m’intéresse c’est de dire des histoires ! J’aime bien lire les romans qui racontent une histoire, je me considère comme un raconteur d’histoires aussi. Mon prochain roman sur les femmes en Afghanistan va s’inspirer de petites histoires entendues à Kaboul quand j’y suis allé en 2003. Spécialement à propos de femmes en prison. Je n’ai pas pu les rencontrer, étant un homme. Mais j’ai été touché par leur ressort. La condition des femmes a évolué un peu à Kaboul, elles peuvent retourner travailler maintenant, participer aux activités de la société, ce n’est pas parfait bien sûr à cause des obstacles culturels. Kaboul a toujours été en avance, d’avant-garde même, plus moderne que le reste du pays, mais dans les secteurs ruraux, rien n’a trop changé de ce qui existait déjà avant les talibans. Il y avait déjà la tradition de porter la burqua , que les talibans ont rétablie pour toutes les femmes, particulièrement à Kaboul où pendant les années 70, les femmes se maquillaient et portaient des mini-jupes. À Kaboul ça a été vraiment un choc. La société afghane reste tout à fait dominée par les hommes.
Votre prochain roman a-t-il pour but de faire bouger les choses ?
Je ne pense pas en ces termes. Je m’intéresse à des personnages, à leurs petites histoires, à leurs rapports avec les autres gens dans leur vie, leur famille, jamais aux grandes idées ! Je me concentre sur l’histoire… et on voit ce qui arrive ! Les écrivains qui veulent écrire sur l’histoire de leur pays, ce n’est pas moi ! L’histoire se met en place, les thèmes se développent, mais je ne commence pas avec de grandes idées, toujours avec de petites idées, j’ai des personnages et je les suis. Je les tourmente et je vois comment ils réagissent : il faut être un peu un tourmenteur quand on est écrivain.
Continuez-vous votre métier de médecin ?
Actuellement j’ai pris une année de congé sabbatique, et donc j’écris chaque jour. Ce que je faisais même avant. Mon roman, je l’ai écrit en me levant à 5 heures et en écrivant jusqu’à 8 heures, puis j’allais voir mes patients. Ma femme est mon comité de lecture, elle est très franche et honnête, si quelque chose ne lui plaît pas du tout, ou au contraire si quelque chose la frappe, elle me le dit. Et ça c’est important, parce que le danger c’est d’avoir votre famille qui trouve tout super, fantastique… etc. ce qui ne fait rien avancer. J’ai confiance en son avis. Pour ce roman elle a tout corrigé au stylo rouge. J’ai fait deux, trois versions du manuscrit avant de l’envoyer à un agent de New York qui l’a pris et a trouvé un éditeur.
Comment marche votre roman aux USA ?
Il marche très bien, c’est un gros succès. En termes de chiffres, ça fait 1,5 million de livres vendus ! Un film va être tiré du livre, ça avance, j’ai déjà lu une première version du scénario de David Beniof qui me paraît très bien. Il sera réalisé par Sam Mendes, auteur de American beauty, et des Sentiers de la perdition.
Propos recueillis par c. d’orgeval le 22 avril 2005 à l’hôtel de l’Abbaye, 75006 Paris |