Une “pagnolade” particulière !
À l’occasion du 120e anniversaire de la naissance de Marcel Pagnol, les Éditions Bamboo commencent l’adaptation de ses œuvres en bandes dessinées. Après La Gloire de mon père, le choix s’est porté sur Merlusse. Si nombre des films qu’il a réalisés étaient des adaptations de ses pièces de théâtre comme Marius, Fanny, Topaze…, Merlusse est le premier scénario spécialement écrit par Marcel Pagnol pour le cinéma. Tournée en 1935, c’est une des œuvres méconnues de l’auteur. Aussi, la parution de ce récit à la façon d’un conte de Noël est l’occasion de découvrir ce petit bijou sur les relations humaines, sur l’importance accordée à l’apparence physique et sur le colportage d’idées fausses, de médisances, voire de calomnies.
Le récit se déroule au Grand Lycée de Marseille, la veille de Noël. Les élèves sont appelés au parloir pour recevoir leur bon de sortie et passer les fêtes de la Nativité dans leur famille. Le Proviseur et le Censeur organisent la vie des pensionnaires qui restent, ceux dont les parents sont trop éloignés ou ne peuvent les prendre pour différentes raisons.
Blanchard, le dernier répétiteur arrivé dans l’établissement, n’est pas aimé de ses collègues et terrorise les élèves. Blessé au visage, borgne, il a un physique peu agréable. Sa mise, un peu négligée, a amené les élèves à le surnommer Merlusse… parce qu’il sent la morue. L’usage veut que ce soit le dernier arrivé qui assure l’étude du soir la veille de Noël. Mais des incidents et des contretemps vont venir brouiller cette belle organisation.
Marcel Pagnol aimait les mots et offrait des dialogues pétillants, des réflexions et remarques colorées, frappées du bon sens. Ils étaient servis par des acteurs qui régalaient avec l’accent du cru. Un des écueils, parfaitement évité, consistait à ne pas trop charger les pages en texte tout en conservant la saveur et la richesse du vocabulaire. Bien que ces pièces aient été écrites il y a plus de quatre-vingts ans, elles conservent toujours la même modernité, l’Homme ne changeant pas. Sa capacité de nuisance est immuable au fil des âges, celle-ci n’évoluant qu’en fonction des procédés et de la technologie. Bien que ! Ne supposait-on pas que la décapitation au sabre était de l’histoire ancienne… La barbarie reste la même !
L’auteur conçoit son récit avec les règles classiques du théâtre : unité de lieu, unité de temps… C’est Nicolas Pagnol, le petit-fils de Marcel, qui a su convaincre Hervé Richez, le directeur de la collection Grand Angle. Les œuvres sont scénarisées par Serge Scotto et Éric Stoffel. Le premier est le petit-cousin de Vincent Scotto, ce compositeur, ami de Marcel, qui a signé la plupart des musiques de ses films.
Le dessin de Merlusse a été confié à A. Dan qui a su composer une galerie de personnages très étoffée, donnant à chacun une spécificité qui rend la lecture facile. L’enjeu, cependant, était de taille. Les couleurs sont de Magali Paillat qui a su rendre l’atmosphère assez morose qui règne dans le lycée occupés par les « oubliés ».
Merlusse est une œuvre à découvrir ou redécouvrir sans tarder. Cet album est une occasion unique.
serge perraud
Serge Scotto (scénario), Éric Stoffel (scénario), A. Dan (dessin), Magali Paillat (couleurs), Merlusse, Bamboo, coll. “Grand Angle”, novembre 2015, 72 p. – 15,90 €.