Par son récit d’exil, Grégoire Domenach fait pénétrer dans une quête particulière. Elle répond à ce qu’il précise dans un de ses textes : « Nous sommes entrés dans l’ère de la lutte des corps après celle des classes. La lutte de la fantasmagorie intime contre la grande fabrique du désir imposé ». Cette fantasmagorie éclate — sous forme de devenir — à la fin de ce récit de voyage apparemment trouvé dans une chambre d’hôtel sur les bords de la Mer Noire. S’y développent des contre-allées de la narration au sein de la traversée de diverses frontières. Leur franchissement finit par mettre en suspens l’exil intérieur. Si bien que le texte devient une forme de nécessité pour notre époque comme pour la pratique de la fiction et la position de l’auteur dans la société. Les délires artistiques, messianiques, prophétiques lui restent étrangers. Dans une société profondément technologique Domenach revendique la force du récit dont les paris changent comme la vie, comme le temps qui passe, l’eau de la rivière et les histoires « peau ».
L’auteur actualise la fiction au sein de rencontres, de paysages, des drames de la guerre, de l’ivresse donnée par l’alcool ou l’art. En dépit de l’angoisse qui traverse le texte, l’auteur ne travaille pas dans la filière de l’insécurité. Pour autant, il ne cherche pas forcément à rassurer ses lecteurs dans un livre où tout est sa place (même si ça et là demeurent des « trous »). Loin des récits classiques, l’auteur crée un livre melting-pot axé sur le quotidien, le concept de « présence » mais aussi une forme de rêverie où la dérision n’est pas absente.
Qu’importe si le lecteur la perçoit ou non dans le balancement qui traverse le livre : « à mesure qu’on enlève du poids à l’espoir, ça penche aussitôt du côté de l’amertume ». Pysanka ne perd jamais la force du désir et d’une certaine façon il n’est question que de lui au moment où l’écriture pousse en champignon vénéneux sur le champ esthétique qui l’a précédée. Ce n’est pas pour autant une littérature ascétique mais tout le contraire. Elle met en scène le rapport homme — femme, nature — urbanisation et les problèmes de la domination.
Lorgnant (litote) sur le monde slave, le texte est lourd (mais sans pesanteurs) des senteurs stylistiques sud-américaines dans ses allers-retours entre l’imaginaire et le réel, une certaine spiritualité mais surtout un sentiment tellurique. La puissance reçue de la terre est toujours incroyable à qui sait voir sa ligne d’horizon légèrement bleuâtre.
L’auteur y trace son chemin en un réseau, un mycélium. Il fait sentir comment l’énergie circule et comment les choses peuvent se transformer dans une renaissance.
jean-paul gavard-perret
Grégoire Domenach, Pysanka, Editions Carnet d’Art, Aix les Bains, 2016, 200 p.- 10,00 €.
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