Miel de l’émotion, douceur de la sensualité : rencontre avec la photographe Salomé Caillet

Les pho­to­gra­phies de Salomé Caillet sont des « actes» atten­tifs dont le grain et la lumière sont irra­diants. L’intime est sug­géré avec dou­ceur. Les sil­houettes et par­fois sim­ple­ment leurs atours pos­sèdent un fort poten­tiel sen­suel et éro­tique. Refu­sant la faci­lité, la pho­to­graphe per­met au regard de s’égarer juste ce qu’il faut. Existe en de telle prise une proxi­mité étroite avec le modèle réin­carné. Il faut beau­coup d’empathie et un grand sens plas­tique pour atteindre une telle beauté énig­ma­tique dans une sim­pli­cité et une puis­sance expressive.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le soleil, je l’aime tant. Sa cha­leur et sa lumière me sont essen­tielles. La vie qui, mal­gré ses accrocs, réserve de jolies sur­prises, des ren­contres, des échanges par­fois éphé­mères que j’aime autant que toute autre rela­tion s’ils sont emplis de sin­cé­rité. Je vis mes émo­tions plei­ne­ment. Trop ! Le par­tage, il est une source incon­tes­table de plai­sir. Par­ta­ger un repas, des mots, un café, une photo…

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Enfant, j’envisageais secrè­te­ment d’être géné­ti­cienne pour tra­vailler sur les mala­dies rares, psy­cho­logue ou psy­chiatre voire écri­vaine. De toute évi­dence, j’attachais de l’importance à aider l’autre à aller mieux. Je le fais dif­fé­rem­ment aujourd’hui. Ils m’ont per­mis de me construire mal­gré leur absence. J’en ai créé d’autres que je tente de réaliser.

A quoi avez-vous renoncé ?
Le renon­ce­ment n’est pas vrai­ment le mot qui me carac­té­rise. C’est une forme de cou­rage que je n’ai pas. Je me suis adap­tée, amé­lio­rée j’espère, mais je n’ai pas renoncé. Ce mot me fait l’effet d’un renie­ment de soi, et ça ne m’est pas conce­vable. A ce pro­pos, j’ai lu un livre Les renon­ce­ments néces­saires de Judith Viorst. Autant il amène des pistes de réflexion, autant il m’a été impos­sible d’appliquer cer­tains conseils. Je l’ai trouvé inté­res­sant, il doit être utile, et évite sans doute quelques consul­ta­tions chez un spé­cia­liste. Sourire.

D’où venez-vous ?
Je réside à Cannes, mais cela ne veut pas dire grand-chose pour moi. J’ai pas mal bougé. Je me sens ter­rienne avant tout.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un ours en peluche que j’ai eu enfant et un stylo Mont Blanc avec lequel mon père m’écrivait. L’émotivité de mon père et une cer­taine dureté de ma mère. Que d’ambiguïté !

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Une petite clé­men­tine confite que j’enfouis toute entière dans la bouche. J’en crève déli­ca­te­ment la peau pour lais­ser cou­ler le jus épais et fruité…Puis je croque à pleine dents le fruit ainsi assé­ché. Cela res­semble étran­ge­ment à une sorte de vam­pi­risme ! Rires

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Je souffre régu­liè­re­ment de page blanche, plus d’envie, de pro­jets, de moti­va­tion, d’idées… Cela dure le temps que cela dure, je n’en suis plus inquiète car j’en retire tou­jours une pro­gres­sion. J’ai appris à vivre avec ces phases déli­cates puisqu’elles m’apportent inévi­ta­ble­ment un mieux dans mon tra­vail.
Je ne suis défi­ni­ti­ve­ment pas une machine à créer, je marche à l’instinct, et lorsqu’il veut se repo­ser, je le laisse faire.
Le doute. Je doute tou­jours de moi, de ce que je suis capable de faire, de don­ner.
La sen­si­bi­lité à fleur de peau. Tout me touche ; les mots, les images, les inten­tions. Je peux être bou­le­ver­sée par un rien et pleu­rer, je bouillonne de colère par­fois.
La dou­ceur que j’essaie de mêler à la sen­sua­lité de mes modèles, car je ne sais pas faire autre­ment que d’avoir ce miel dans le regard.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Une photo de ma grand-mère faite dans les stu­dios Har­court à Paris.
Cette lumière si par­ti­cu­lière me fai­sait décou­vrir une femme tel­le­ment douce, fémi­nine, apai­sée…. Je n’avais jamais « res­piré » ma grand-mère ainsi, elle avait vécu des choses si dures…

Et votre pre­mière lec­ture ?
Cette même grand-mère m’avait offert un recueil de poèmes de Ver­laine. Je l’ai long­temps lu et relu, puis perdu dans un de mes nom­breux démé­na­ge­ments.
Pre­mier roman qui m’a tou­chée en décou­vrant une his­toire d’amitié ter­ri­ble­ment forte dans Une prière pour Owen de John Irving.
Pre­mière lec­ture éro­tique, Jus­tine de Sade. J’avais 14 ans, autant vous dire que je n’avais rien com­pris ! Je l’avais emprunté en cachette à mon père…

Pour­quoi votre atti­rance pour la photo “éro­tique” ?
Parce qu’on a tous un capi­tal éro­tique, sen­suel en nous. Par­fois oublié, négligé, mal mené ou tota­le­ment inté­rio­risé. J’aimerais en être la révé­la­trice. Confi­dence pour confi­dence, au tout début je ne m’intéressais qu’aux por­traits, et aux por­traits volés de pré­fé­rence.
Si dans l’art en géné­ral le nu m’a tou­jours séduite, il me parais­sait comme réservé aux grands. Je n’osais pas tou­cher à ce domaine si sen­sible, si impu­dique, si déli­cat.
Pour moi, le nu et l’érotisme sont du luxe. Pas de la por­no­gra­phie. Ils se doivent d’être élé­gants pour exis­ter vrai­ment.
Autant le por­trait me sem­blait facile à mettre en valeur, qu’un corps entiè­re­ment dévoilé s’avérait plus com­plexe, plus raf­finé pour être inté­res­sant pour le pho­to­graphe comme pour le modèle.
Il a fallu que j’ose, que je m’essaye à cette dis­ci­pline étant donné que je sen­tais véri­ta­ble­ment ce besoin de pho­to­gra­phier les modèles de moins en moins vêtus.
Actuel­le­ment, alors que j’en suis vrai­ment à mes débuts dans cette dis­ci­pline, j’en retire une énorme satis­fac­tion sur le plan humain. Il faut créer une com­pli­cité, une confiance avec la per­sonne qui est devant l’objectif. Savoir la gui­der pour obte­nir quelque chose de géné­reux sur le plan émo­tion­nel et esthé­tique. Curieu­se­ment, mes modèles deviennent des ami(e)s. Cette proxi­mité et cette sorte d’indécence nous lient pro­fon­dé­ment.
Je ne choi­sis pour ainsi dire que des per­sonnes qui n’ont jamais ou peu posé, et je n’ai pas de cri­tère d’âge quant aux postulant(e)s. J’aime la fra­gi­lité qui se dégage de ces moments de décou­verte. La lin­ge­rie que porte mes modèles est là pour sou­li­gner, accen­tuer, devi­ner… Elle apporte une lec­ture, une émo­tion et des sen­sa­tions tant au modèle qui pose qu’à ceux qui vont décou­vrir l’image. La sen­sua­lité me touche ter­ri­ble­ment et je suis sou­vent très aga­cée par les com­plexes que cer­taines per­sonnes déve­loppent par trop d’excès de chiffres, de cri­tères et de stan­dards. J’entends régu­liè­re­ment « je ne suis pas belle », « j’ai des rides », « qui pour­rait vou­loir de moi ? », « je suis trop grosse », « je ne plais pas » ‚« j’ai des cuisses énormes »…. Je leur rends leur fémi­nité, ou leur mas­cu­li­nité en met­tant en valeur leur éro­tisme natu­rel. Je mêle leur sen­sua­lité à ma dou­ceur, c’est avec tout cela que je construis mes images.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’ai plai­sir à écou­ter des mor­ceaux de musique clas­sique comme de la pop amé­ri­caine ou des grands de la chan­son fran­çaise. Selon l’humeur, l’activité, le temps qu’il fait ou avec qui je suis.
La musique enve­loppe et décore l’atmosphère.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Peut-être Le Petit Prince de Saint Exu­péry. J’avais été sub­ju­guée par le fait qu’un adulte écrive avec une telle rêve­rie et une telle simplicité.

Quel film vous fait pleu­rer ?
La vie est belle de Roberto Beni­gni. C’est affli­geant de bana­lité, cepen­dant ce que le père est capable de faire pour mini­mi­ser la situa­tion dans laquelle son fils et lui se trouvent m’a tou­jours chamboulée.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Moi, mais je ne sais pas encore tout à fait qui je suis. Il y a bien du che­min qui reste à par­cou­rir. Sou­rire gêné.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Au futur homme de ma vie. On ne se connaît pas encore, mais j’ai des tas de choses à lui dire !!! J’ai long­temps pen­ser à cou­cher mes mots dans un car­net pour lui dire qui je suis, ce à quoi j’aspire. C’est idiot, j’imagine que cela pour­rait être un joli cadeau.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Ber­teille. Hameau qui n’existe sans doute plus, à quelques cen­taines de mètres du vil­lage d’Arbas en Haute Garonne.
J’y ai vécu tant de choses fortes… Mon pre­mier bai­ser, la mort d’un ani­mal de com­pa­gnie, ma pre­mière grande dis­pute avec mon père, la cueillette des cham­pi­gnons, la les­si­veuse pour net­toyer le linge, le natu­risme, le tir au revol­ver, la dis­sec­tion des pelotes de réjec­tion des chouettes, les piqûres d’abeilles, la cap­ture d’orvets, la soli­tude, l’odeur de la che­mi­née qui brûle, le cra­que­ment du bois, les nuits d’orages en été. J’aimerais y retourner.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Il y en a tant, je vais en oublier beau­coup, ce n’est pas juste de n’en citer que quelques-uns alors que ma mémoire me fait par­fois défaut. Le pre­mier qui me vient à l’esprit est Hel­mut New­ton. Evi­dem­ment ! Je suis influen­cée éga­le­ment par Cartier-Bresson, Dois­neau, Capa, Steve Mc Curry, Willy Ronis, LLorca, Jacques Henry Lar­tigue. Mais com­ment ne pas être amou­reuse de leur talent ? !
Je ne peux pas dire que je me sente plus proche d’eux que d’autres, ils m’ont tou­chée, émue, appris, fait rêver. Ce sont des vir­tuoses qui ont ouvert beau­coup de voies. On ne peut pas ne pas citer des telles figures de la pho­to­gra­phie.
En matière d’écrivain… Quand je lis, c’est pour me dis­traire, alors je me laisse aller à des lec­tures faciles, qui m’emportent dans des uni­vers dif­fé­rents du mien. Cela va de Didier Van Cau­we­laert à Romain Gary en pas­sant par Kathe­rine Pan­col et Lio­nel Duroy, et bien d’autres. Je devrais davan­tage m’intéresser aux grands clas­siques mais ils m’effraient. J’aime l’écriture ludique, ils le sont.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un bou­quet de fleurs des champs, de pivoines ou de renon­cules ou un pique-nique impro­visé en char­mante com­pa­gnie. A qui dois-je lais­ser mon adresse ? Rires

Que défendez-vous ?
La fémi­nité, mais pas le fémi­nisme (Je n’apprécie pas les extrêmes de toute nature).
La jus­tice, l’amour, le res­pect sont des valeurs aux­quelles je crois bien qu’elles soient mal­me­nées. Je tente de les défendre de mon mieux.
Et je tente tant bien que mal de défendre ma place en qua­lité de photographe.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Si on la lit froi­de­ment sans cher­cher au-delà, cela vou­drait presque dire que ça ne sert à rien d’aimer quelqu’un parce qu’il n’a pas besoin de notre amour. Il s’auto-suffirait ?
C’est un peu fata­liste, bru­tal à mon goût et véri­ta­ble­ment trop égo­cen­tré.
L’échange et la réci­pro­cité me semblent néces­saires.
L’amour ce n’est pas uni­que­ment des sen­ti­ments, c’est un par­tage de valeurs, de regards, d’idées, un sou­tien, un élan aussi.
Je suis inti­me­ment convain­cue que nous avons tous besoin d’amour à don­ner et à rece­voir. Rece­voir de l’amour fait tel­le­ment de bien, Cet amour reçu peut être le déclen­cheur de nou­velles notions sur soi, sur la per­cep­tion qu’on a de soi.
L’amour donné est quelque chose de tout aussi fan­tas­tique, on donne de soi pour rem­plir et com­plé­ter l’autre, car pour moi il n’y a pas plus bel échange que celui d’un par­tage de sen­ti­ments amou­reux entre deux per­sonnes sin­cères, et de tout ce qui en découle. De don­ner de sa per­sonne pour rendre quelqu’un heu­reux.
Don­ner de l’amour est aussi une décou­verte de soi, com­ment se posi­tion­ner par rap­port à l’autre et à ses attentes, ses manques, ses besoins, ses inter­ro­ga­tions…
Aimer et se faire aimer est fina­le­ment un grand défi ! Cela demande un réel inves­tis­se­ment.
Oui, de toute évi­dence je crois que l’amour rend heu­reux. Ce bon­heur est un vrai chal­lenge !
Ce ne doit pas être quelque chose qu’on gâche, qu’on gal­vaude, qu’on malmène…

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Non ! On ne peut pas dire oui à tout et n’importe quoi !

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Nous avons parlé de son (musique), d’image (photo), de mots (lec­ture), j’aimerais vous par­ler d’une odeur….
« Quelle odeur vous reste en mémoire ? »
L’odeur douce et enve­lop­pante de la poudre de riz que por­tait mon arrière-grand-mère Louise. Quand je me concentre, j’en retrouve très pré­ci­sé­ment l’essence, la force, la déli­ca­tesse.
C’est une odeur gra­vée à jamais !

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 20 jan­vier 2016.

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