Christian Tagliavini reprend à sa main des images de l’histoire de l’art et de la littérature ( du peintre de la Renaissance Bronzino aux histories d’Edgar Poe ou de Jules Vernes entre autres). Les photographies à la fois transposent et métamorphosent l’iconographie de l’époque.
Sous le “plat” horizon de chaque photo surgissent à la fois la profondeur du temps et une vision d’un indicible étrange. L’artiste italo-suisse traque ce qui manque à l’histoire et au portrait — à savoir son image absente (impossible ?) à travers ses prises. Il resserre leur existence sans chercher à “intellectualiser” et c’est là l’essentiel. Car le photographe sait que tout reste toujours à montrer, à découvrir. Femmes, hommes et narrations trouvent une incarnation particulière : l’émotion jaillit non sans un effet de froideur.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Andy Warhol disait : “j’emporte mon appareil photo partout où je vais”. Avoir une nouvelle pellicule à développer me donne une bonne raison de me lever le matin. Une des raisons pour lesquelles je me lève est de découvrir si je réussirai à rendre mon travail pertinent.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Parfois ils affleurent, parfois ils me suffoquent.
D’où venez-vous ?
Je suis né dans les hautes montagnes de Suisse, mais j’ai grandi dans les plaines, entre les romans de Giovanni Guareschi et le grand fleuve italien (Le Pô). Pour ensuite, désormais adulte, revenir vers mes origines natales.
Quelle est la première image qui vous a saisi ?
La photo de mon père.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’aime pas écrire et en outre je n’en suis pas capable.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres architectes et artistes ?
Je ne suis pas architecte et je ne me sens pas artiste, pour le moment je me sens seulement artisan.
Où et comment travaillez-vous ?
Je me dis toujours “artisan de la photographie”, je ne me considère pas comme un artiste. Même si ce que je crée peut me faire mentir. Mon travail réclame beaucoup de préparation, rien n’est laissé au hasard et presque toujours il existe une dynamique similaire dans mes projets.
A l’origine j’ai beaucoup d’idées, je cherche à garder la plus intéressante, celle qui a quelque chose à raconter, à transmettre. J’en choisi une, je cherche à en vérifier la faisabilité parce que tous les projets ne peuvent être menés à bien. Je commence alors un long travail de recherche historique et iconographique. Quelques plans-masses, des dessins préparatoires, un story-board qui me guidera comme pour la séquence d’un film et ensuite je travaille longtemps avec les couleurs. Mais ce n’est pas encore terminé, nous avons encore à peine commencé. Les marges du projet définies nous pouvons commencer la mise en place de la scénographie, des costumes, des objets et de tout ce qui à l’intérieur du story-board sera réalisé. Quand les dessins techniques sont au point et que tout est finalisé, cela commence ! J’endosse le costume d’”artisan” et j’entame la réalisation de mes scènes avec patience : bois, papier, carton, colle, couleurs, textiles et beaucoup de matières passent entre mes mains pour devenir, à la fin les contours d’une histoire.
Quel livre aimez-vous relire ?
“L’Idiot” de Dostoïevski mais je n’arrive jamais à dépasser la vingtième page.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un enfant, un homme généreux, un menteur, un ingénu, un indécis. Je vois un être humain.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Il y en a beaucoup, les photographes qui m’ont accompagné dans mon parcours d’autodidacte. D’eux j’ai appris beaucoup de chose, j’ai cherché de partir de leurs mots pour commencer mes narrations, maintenant c’est moi qui écrit mon histoire.
D’où vient votre attirance pour la photographie “historique” de l’art ?
Quand j’ai commencé mon travail photographique je n’avais pas encore trouvé des stimulations et des affinités avec le quotidien. Je préfère m’immerger dans une fable lointaine plutôt que trop plonger dans le présent.
Que vous inspire la phrase de Lacan “L’amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
De la confusion.
Et celle de W. Allen “La réponse est oui mais quelle était la question ?”
Beaucoup de confusion.
Présentation, entretien et traduction réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 11 janvier 2016.