Chasser le brouillard avec un éventail
Avec Lily Pute, « vierge folle, liliale et libidinale, éprise d’elle-même et soumise au désir des autres » Claude Louis-Combet a trouvé de quoi réveiller « un précipité de vieilles concupiscences » qui croupissaient dans son inconscient. Mais c’est grâce aux gravures envoyées à l’auteur par Roland Sénéca que de telles images provoquèrent « des spasmes d’imagination ». Elles nourrirent d’emblée un travail qui se concrétisa en quatre albums de dessins. Pour Louis-Combet, il y eut là de quoi vaticiner sans pour autant perdre de nœud de ses obsessions. Et sa Lily Pute prouve qu’il arrive à chasser le brouillard avec un éventail.
L’auteur la cerne avec détails et poses. Avec des interstices aussi. Ils renvoient à un certain invisible propre à placer le lecteur dans sa vanité ou son vide – ce qui est un peu la même chose. C’est pourquoi il ne peut s’en passer. Dès qu’il la quitte, l’envie lui vient de retrouver le miroir du livre sans lequel il serait quasiment sans corps. Un corps qui pourtant se refuse à lui-même. Il est vrai qu’une telle femme sans le latex ou le cuir mais en des caprices « hommicides » n’ignore rien des hommes prévoyant leur « mâlice ».
Il n ‘existe donc pas seulement les « ruelles enchevêtrées à se dépelotter sous ses pas. » Les gestes qu’elle engage font des taches exquises, parfois « sombres et floues ». Le narrateur est à peine une mouche qui passe à côté d’elle mais il se pose sur une cuillère à café ou sur le bord d’un verre de champagne pour la rendre fixe et éternelle. Mais ne faudra pas compter sur Lily pour faire la vaisselle.
L’écrire c’est l’attendre ou attendre. Après un tel suspens s’impose une certaine nécessité que l’insoumise-soumise ne refuse jamais. Le lecteur peut imaginer que son cœur la guide mais cela ne règle en rien sa vie : d’autant que le narrateur en face d’elle (ou presque) reste toujours ailleurs. Il se met à écrire pour la rêver. Elle se perd dans les songes de celle qui « navigue plutôt qu’elle ne marche ». Cela donne à sa silhouette des courbes et des creux aussi chaloupés qu’inédits. Quant à sa chevelure, elle n’a rien à envier à celle dont parlait Baudelaire : elle est faite pour les extases et les agonies (pléonasme dans son cas).
Tout compte fait, comme l’avait initié Roland Sénéca, ne restent que ses lignes subtiles à la limite des choses. Du moins celles qui ne peuvent ni se dire, ni se montrer. Sinon lorsqu’on s’appelle Louis-Combet. Toutes ses égéries scandent la vie avec un bruit de graines, de claves et d’ustensiles en cuivre. Et la litanie prend forme d’une dérive entre la pornographie et la métaphysique. Au besoin, l’auteur décrit des choses dont Lily ne se souvient pas et qui ne sont peut-être jamais arrivées. Mais dès que l’auteur en parle, elles se passent avant de se faner une dernière fois.
jean-paul gavard-perret
Claude Louis-Combet & Roland Sénéca, Dits et médits de Lily Pute, Editions Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2016, 64 p. — 14,00 €.