Jean Echenoz, Envoyée spéciale

La sot­tie selon Echenoz

Après son voyage au bout de la nuit où par vignettes conden­sées Eche­noz racon­tait l’histoire de la guerre de 14–18, son « opéra sor­dide et puant », à savoir « gran­diose, empha­tique, pénible et à la suite plu­tôt fas­ti­dieux » l’auteur quitte les pseudo-sentiers de la gloire pour une guerre à la fois plus ludique et sou­ter­raine. Il s’agit en effet du bal des espions — volon­taires ou non.
Une fois de plus l’auteur avec son goût de l’incidence bal­lade (à tous les sens du terme) son lec­teur du fin fond de la cam­pagne fran­çaise jusqu’à la Corée du Nord — néces­sité de la lit­té­ra­ture de genre oblige… Mais on sait tou­te­fois que depuis « Les Gommes » de Robbe-Grillet, aux Edi­tions de Minuit les codes se tordent. Mani­pu­lés — plus que les héros eux-mêmes —  ils sont faits comme des rats. Bref le roman d’espionnage s’ouvre à bien des failles comme l’héroïne invo­lon­taire qui pose de fait la ques­tion de l’appartenance, l’apparentement et de la désap­pro­pria­tion non seule­ment d’elle-même mais du genre.

Chaque indice du roman est lui-même une fable de la perte plus que celle d’un abou­tis­se­ment : mais qu’on se ras­sure le roman « finit ». Eche­noz y prouve une nou­velle fois son apti­tude à rendre les êtres vivants à tra­vers les choses et les situa­tions. L’accumulation des moments chocs construit un uni­vers dont les clés échappent aux per­son­nages plus actés qu’actants. Bref le roman ouvre à une déban­dade.
Le moindre faux pas peut être consi­déré comme une déser­tion par les maitres du jeu (nar­ra­teurs en pre­mier) qui ont confis­qué les clés. Res­tent des espaces de ten­sion et d’humour, leurs lignes sou­ter­raines indices de l’inconnu d’une his­toire de diver­sion. Eche­noz s’y amuse sérieu­se­ment. Et c’est comme cela qu’on le pré­fère. Les miasmes de l’humour détourne le « moi » de son socle. Tout tient dans le rythme où le doute crée un vrai faux roman d’espionnage. Eche­noz se fait lui-même agent-secret et impos­teur dans un flo­ri­lège de détours. En ce roman « de forme » il crée une dis­tance autant dans la fic­tion que l’époque.

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jean-paul gavard-perret

Jean Eche­noz, Envoyée spé­ciale, Edi­tions de Minuit, Paris, 2016, 320 p. — 18,50 €.

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