Après son voyage au bout de la nuit où par vignettes condensées Echenoz racontait l’histoire de la guerre de 14–18, son « opéra sordide et puant », à savoir « grandiose, emphatique, pénible et à la suite plutôt fastidieux » l’auteur quitte les pseudo-sentiers de la gloire pour une guerre à la fois plus ludique et souterraine. Il s’agit en effet du bal des espions — volontaires ou non.
Une fois de plus l’auteur avec son goût de l’incidence ballade (à tous les sens du terme) son lecteur du fin fond de la campagne française jusqu’à la Corée du Nord — nécessité de la littérature de genre oblige… Mais on sait toutefois que depuis « Les Gommes » de Robbe-Grillet, aux Editions de Minuit les codes se tordent. Manipulés — plus que les héros eux-mêmes — ils sont faits comme des rats. Bref le roman d’espionnage s’ouvre à bien des failles comme l’héroïne involontaire qui pose de fait la question de l’appartenance, l’apparentement et de la désappropriation non seulement d’elle-même mais du genre.
Chaque indice du roman est lui-même une fable de la perte plus que celle d’un aboutissement : mais qu’on se rassure le roman « finit ». Echenoz y prouve une nouvelle fois son aptitude à rendre les êtres vivants à travers les choses et les situations. L’accumulation des moments chocs construit un univers dont les clés échappent aux personnages plus actés qu’actants. Bref le roman ouvre à une débandade.
Le moindre faux pas peut être considéré comme une désertion par les maitres du jeu (narrateurs en premier) qui ont confisqué les clés. Restent des espaces de tension et d’humour, leurs lignes souterraines indices de l’inconnu d’une histoire de diversion. Echenoz s’y amuse sérieusement. Et c’est comme cela qu’on le préfère. Les miasmes de l’humour détourne le « moi » de son socle. Tout tient dans le rythme où le doute crée un vrai faux roman d’espionnage. Echenoz se fait lui-même agent-secret et imposteur dans un florilège de détours. En ce roman « de forme » il crée une distance autant dans la fiction que l’époque.
Lire les premières pages
jean-paul gavard-perret
Jean Echenoz, Envoyée spéciale, Editions de Minuit, Paris, 2016, 320 p. — 18,50 €.